Nerveux, très nerveux, ces derniers temps, le Chef du gouvernement, derrière sa façade plutôt placide. Et comment ! Du moment que la Choura d’Ennahdha s’est décidé à lui scier publiquement le dos, en réclamant, à coups de communiqués et autres sorties médiatiques multipliées, la formation d’un nouveau gouvernement, qualifié de « politique » mais surtout, et non sans quelque sous-entendu, de « fort ». Tout en réclamant, en sourdine, seulement et rien que la tête de Moez Lidinallah Mokaddem.

Qui est-ce ? En deux mots : directeur du cabinet de Hichem Mechichi et son véritable « bras droit » à la Kasbah, qui a été déclaré récemment « persona non grata » par le conseil de la Choura. Motif ? Le monsieur n’a fait qu’« entraver », à ce qu’il parait, tous les « plans » du parti islamiste au sein de l’Exécutif et ce, raconte-t-on, depuis son premier jour de service.

Alors, nerveux le Mechichi ? En tout cas, assez pour craquer en plein milieu d’une réunion de travail à Béja, qu’il avait quitté, grognon, il y a quelques jours, après avoir été taillé en pièces par quelques dirigeants locaux qui, visiblement, n’y étaient pas allés de mains mortes pour critiquer « sa » gestion, jugée « catastrophique » de la situation sanitaire, notamment dans leur région. « Il ne s’attendait quand même pas à ce qu’on le reçoive avec les lauriers », ironise, après coup, un des protagonistes de ladite réunion, « alors que les morts tombaient comme des mouches à l’heure où nous parlions ». Voilà qui est dit…Qui était derrière ce baroud d’honneur ?

Les Nahdhaouis, de leur côté, n’ont pas manqué d’y mettre du leur, en tirant à boulets rouges à chaque passage dans les médias : « déficiences de toutes parts », « gouvernement faible et atrophié », « rendement amoindri », « gestion sans vigueur », « bilan maigre », et tout ce champ lexical de la « faiblesse » et de l’« infirmité » qui a envahi les plateaux, ces derniers jours. Quitte à devoir accuser Mechichi de tous les maux qui abattent le pays, Ennahdha y va même, comble de la roublardise, jusqu’à s’en laver carrément les mains. Phrase magique : Nous sommes au pouvoir, mais nous ne gouvernons pas !

Et puis, histoire de jouer davantage avec les nerfs de Mechichi, Ennahdha n’hésitera pas à cultiver encore le paradoxe : on réclame, d’une part, un gouvernement « politique » et « fort », mais on ne s’opposerait pas, pour autant, à ce qu’il soit présidé –voyez-vous- par ce même Mechichi, qu’on s’applique, pourtant, à présenter sur tous les toits, comme étant pour le moins « apolitique » et, pour le pire, on ne peut plus « faiblard ».

Grandes manœuvres en public, place aux petites combines dans les réunions privées…

Gouvernement « politique et fort » ou… pas, pour Mechichi, cela revient au même : s’il veut, à tout prix, conserver son poste à la Kasbah, il suffira de revenir là où tout a commencé, c’est-à-dire de se remettre à veiller, très sagement, sur les intérêts purement partisans d’Ennahdha et de ses alliés. Traduction : limoger, sans plus attendre, son « bras droit » Moez Lidinallah Mokaddem qui, selon toutes les indiscrétions des couloirs, n’a fait que contrecarrer, jusque-là et à sa manière, les nominations partisanes et les pulsions tentaculaires, jamais rassasiées, du mouvement islamiste.

Voyez donc, traiter avec Ennahdha n’est pas si difficile que ça, en fin de compte. Et dire que rester à la Kasbah va « seulement » lui coûter un bras à Mechichi… Alors, deal ou pas deal ?

Slim BEN YOUSSEF