A ce train-là, Kais Saied en aura encore pour une éternité. C’est que la reconstruction d’un Etat est un tout. Et, à plus forte raison, dans un contexte où c’est juste une constitution qui avait été bafouée.

C’est qu’il s’agit d’abord de restituer ses lettres de noblesse à cette constitution. On a eu beau la stigmatiser, à cause de certaines failles qu’on peut colmater, sans aller jusqu’aux solutions extrêmes. Cela pourrait se faire avec Saied ou sans Saied. Si on ne l’a pas fait, c’est que l’establishment d’avant le 25 juillet a habilement su tourner ces défectuosités à son avantage. Béji Caid Essebsi pouvait aisément recourir à l’article 80, lors de l’agression de Ben Guerdane. Et, en bon disciple de Bourguiba, il pouvait aussi jongler avec le texte constitutionnel. Sauf que BCE avait un respect « religieux » pour la constitution, même si celle-ci l’a copieusement desservi.

Peut-être, son tort majeur, « mystérieux » même, aura consisté dans son refus de parapher l’amendement du code électoral. Peut-être bien que ces partis parasitaires et nocifs n’auraient pas fait du Parlement un musée des horreurs. Peut-être bien.

Maintenant, il faudra bien s’interroger sur le modus operandi du Président Saied. A croire que le recours à l’article 80 ne constitue pour lui que le véhicule d’une purgation des passions. L’accomplissement aussi d’une tendance à la fantasmagorie et le prétexte pour installer sa vision des choses, sa vision pour le pays, cette vision vaguement annoncée dans sa campagne électorale. Parce que, très habilement, il avait joué sur une certaine fibre populaire qui a tout l’air, aujourd’hui, de se muer en relents populistes. Tout un chacun a applaudi le coup d’audace du 25 juillet. Ce tout un chacun c’est le « on », la vox populi qu’une décennie de hautes a clochardisée, sinon pernicieusement orientée vers les débats doctrinaires stériles, pour mieux détourner les Tunisiens de leurs problèmes existentiels. En fait, la seule doctrine dominante, ce ne fut que celle distillée par Ennahdha, tandis que la Gauche ne retrouvait pas ses marques et que les Centristes se dispersaient, par excès d’égocentrisme.

Or, l’état d’exception et l’article 80 ont des contours parfaitement clairs dans la constitution. Ils ne disent pas que celle-ci doive être suspendue.

La fronde est même venue des alliés du Président. Mais ces alliés, à l’instar de Mohamed Abbou, se retrouvent empêtrés dans leurs propres contradictions. N’est-ce pas ce même Mohamed Abbou qui conseillait à Saied d’activer l’article 80 et de s’arroger tous les pouvoirs ? D’où vient qu’il déclare aujourd’hui que cet article n’autorise guère la « suspension de la constitution » (c’est un fait accompli) et, travers cette suspension, le gel de tout, à commencer par les fondamentaux de la dynamique de la gouvernance ? Car, à ce train-là, Saied ne pourra pas tout  faire et tout seul.

Raouf Khalsi