Supposons que Kais Saied ne disposât pas du très controversé article 80, supposons même qu’il ne fût pas Président, mais un militant contre ce qui gangrène son pays : aurait-il opté pour la manière forte ou pour la résistance passive, grâce à laquelle l’Inde réussit à dégager la puissance britannique. Le procédé de Ghandi était simple. Entre autres, des millions parmi ses propres concitoyens qui se portait volontaires pour s’allonger sur la voie ferrée longeant La Route des Indes : le train pouvait-il tous les broyer ? C’est cela la résistance passive.

Comme Ghandi, Kais Saied n’est pas un adepte de la violence. Mais il est capable de violence verbale. Et, surtout, il lui arrive souvent-et même avant d’activer l’article 80- de dénoncer à tout bout de champs les corrompus et les corrupteurs des dieux. Il ne cite guère de noms, mais à l’évidence, il dispose d’assez d’informations pour les épingler.

Il est clair que le passage de Mohamed Abbou au ministère de la bonne Gouvernance lui a été bénéfique. De fait, Abbou, son allié (aujourd’hui dépité) lui a sans doute fourni une précieuse base de données. C’est entre autres pour cela, que l’ex-secrétaire général d’Attayar voulait chapeauter à la fois, l’Administration, l’Intérieur et la Justice.

Or, dans les offensives présidentielles, il y a comme un arrière-goût d’inachevé. Si la Justice ne se saisit pas promptement des dossiers, les coups de gueule du Président retomberaient en relents donquichottesques.

C’est que les dossiers surgissent de partout, maintenant que les langues se sont déliées. Et dans toute cette confusion, ce sont les mécanismes techniques qui viennent à manquer.

L’inspiration presque divine du 25 Juillet a eu pour effet de libérer le pays. Parce que le peuple était quelque part inféodé, pris en otage. Saied est fatalement dans la psychologie du libérateur, après avoir fait justement comme Ghandi (la résistance passive), dès temps où le fameux « coussin » le condamnait à l’isolement et le narguait même.

Il a donc imité Ghandi. Et, un jour, de guerre lasse, il larguait ses « missiles ».

Maintenant, c’est devenu une question d’ordre balistique. Si les missiles n’atteignent pas leurs cibles, nous irons droit vers un énorme gâchis.

Cette opération mains propres devait absolument se faire. Mais tout est dans la manière de dégager le bon grain de l’ivraie, comme dirait Béji Caid Essebsi.

En fait, Saied est autant méthodique dans son magistère juridique que dispersé dans la gouvernance absolue du pays.

Ses mots sont tout autant lourds de sens que d’implications. Il n’a certes pas à se plier aux vociférations des puissances occidentales, l’Amérique en premier lieu. Celle-ci n’a pas de leçons intentionnelles à nous donner. Mais quand il parle de restituer la parole au peuple, qu’entend-il par-là ? Des élections ? Soit. Mais avec quelles instances ?

En fait, Saied est toujours dans la résistance passive. Parce que le péril n’a pas été encore anéanti.

Raouf Khalsi