Quelqu’un a dit qu’il n’est jamais compliqué d’écrire une constitution, parce que ceux qui l’écrivent, ne l’écrivent que pour eux-mêmes. Parce qu’il n’y a pas de prototype-standard, parce qu’elle n’est jamais à l’image de ceux qui jurent de la faire respecter. Garde-fou contre les dérives du pouvoir ? Aucune constitution au monde ne peut prétendre à la sacralité, parce qu’un texte constitutionnel n’est jamais parfait, ni qu’il ne puisse prévenir à l’avance ce que les jongleurs peuvent en faire.

Voilà que le débat s’installe. A un peu moins de deux mois depuis l’activation de l’article 80, personne ne peut vraiment dire si nous sommes encore dans les contours constitutionnels, ou que nous les ayons allègrement franchis.

Sauf que comme le disait Macron en 2017, sur les colonnes de l’Obs, on a tendance à penser que « le peuple est comme une grenouille spirale, qui n’a qu’un arc-réflexe. Celui-ci bouge, on pond une loi et on change la constitution. Ce qui est faux », toujours dans sa vision des choses.

Mais il y a plus important encore : « L’opinion publique est une force politique et cette force n’est prévue par aucune constitution », dirait Alfred Sauvy.

Chez nous, c’est toute une histoire convulsive. Toujours écrite dans la ferveur, la constitution s’en retrouve défigurée. Et cela se répète, toujours dans la ferveur, avant d’être ballottée   au gré des « impératifs » du pouvoir et de ses pesanteurs « vitales ».

Kais Saied a juré de faire respecter cette constitution. La constitution de 2014 qu’on donnait pour « la meilleure au monde ». S’il a accédé à la magistrature suprême, et sans appartenance à quelque parti que ce soit, c’est précisément parce que la constitution l’a prévu. S’il a actionné l’article 80, c’est encore parce que c’est cette même constitution qui l’y autorise, quoique tous les réquisits n’y soient pas scrupuleusement respectés.

En l’état actuel des choses, c’est véritablement le flou artistique. Que fera le Président de cette constitution ? Quelles sont ses réelles intentions ?

S’il est vrai que les Tunisiens, dans leur grande majorité, ont béni le coup d’audace du 25 Juillet, des questionnements surgissent aujourd’hui, et ces questionnements deviennent pressants. C’est que le Président ne révèle rien sur ce qu’il compte faire dans l’immédiat, en cette conjoncture de réelle paralysie des mécanismes de l’Etat.

Sans doute, cherche-t-il lui-même à y voir plus clair. Parce que quelque chose lui échappe. Parce qu’un Etat profond, ça ne se démantèle pas en deux mois. Il a devant lui une meute de contestaires et, derrière, une autre meute, faite de laudateurs. Et celle-ci est autrement plus dangereuse que la première. En fin de compte, le vrai problème tient-il à la constitution ? Au régime ? Ou aux hommes ?

L’équation à plusieurs inconnues est peut-être dans ce triptyque. Kais Saied doit-il gérer les textes, ou les hommes ? C’est entre les deux que se situe le flottement.

Raouf Khalsi