On a peu souvent l’occasion d’entendre du luth. L’instrument en lui-même est fascinant. Ce soir, le tunisien  Ridha Chmak et le marocain Khalid Badaoui nous ont offert un magnifique récital, rassemblant des pièces d’une rare beauté, destinées à mettre en valeur la délicatesse et la volupté sonore du luth à l’occasion de la troisième édition des « cordes méditerranéennes » .

Tout le génie de deux  virtuoses consiste à occuper intensément l’espace sonore, sans jamais lasser,  pour autant l’oreille de l’auditeur, comme envoûtée, appréciant les subtilités des modulations et des effets. Ce son du luth est à la fois profond et aérien, il est doté d’une forte intériorité qui éveille la plus lointaine intériorité de l’être. La magie du luth inégalable réside en un paradoxe : en même temps qu’il soulève les plus grandes passions, les plus profondes émotions, il procure l’apaisement de l’âme. Le luthiste, Ridha Chemak,  a réussi à fasciner l’auditoire par ses improvisations dans le mode « Samai  » . Il nous prouve que les pièces anciennes ne sont pas définitivement datées, qu’elles nous parlent, nous questionnent encore.

Ridha a  littéralement charmé le public avec son luth et ses mélodies  empreintes de romantisme et de liberté. Accroché à son luth et accompagné par le percussionniste Zoubeir Messai,  il a réchauffé l’assistance en interprétant un grand succès de Nizar Kaabani « Fi hayina dikoun  » .Avec ses mélodies accrocheuses, il conquit le public, qui s’est levé d’un bond pour l’ovationner chaleureusement à la toute fin. Sa musique est une méditation voluptueuse. Elle est intense et limpide. Son récital a été une belle démonstration de génie et de créativité.

La soirée a été longue et le public émerveillé jusqu’à la fin. Pas pour un orchestre ou du chant, mais pour un instrument ; mais lequel ? Le luth célébré avec faste . Le marocain Khalid Badaoui a tenu à rendre hommage  au prince du luth, le plus prestigieux luthiste au monde, compositeur et virtuose inégalable du roi des instruments,  le marocain Saïd Chraïbi, qui a beaucoup  travaillé sur le patrimoine classique arabe, oriental et andalou tout en s’inscrivant  de plain pied dans la modernité et de produire dans la diversité. Khaled, luth en solo, une grande sensibilité, un talent remarquable, interpréta ce soir deux pièces de Saïd Chraïbi.

C’est sûr, il n’y a pas de doute, Khalid Badaoui a  fait vibrer les murs de Dar Sebastian lorsqu’il interpréta un morceau qu’il a composé à cette occasion « Sehr Al Andalous ». Le public est imprégné de l’émotion qui se dégage des cordes du luth, c’est dire que l’instrument a du caractère, allant d’une tendresse émouvante à une énergie redoutable. Il enchaîne avec un morceau «Ya Msaffer Wahdek » de Mohamed Abdelwahab comme fond musical .A mesure que la soirée continue, le concert devient de plus en plus intime. Accompagné par le percussionniste Chokri Ben Amou, Khalid Badaoui  émerveilla l’assistance par ses improvisations . Ses  touches  expriment des tableaux multicolores, une sensibilité et des couleurs d’ici et d’ailleurs avec des influences parfois mystiques, appréciées par l’assistance. Dans un seul morceau, on écoute différentes facettes de cette musique authentique. Des morceaux comme « Ya Sabah Al Khir », et autres ont retenu un grand public, connaisseur et enivré par cette musique belle et innovante

Kamel Bouaouina