La réunion du vendredi 4 février 2022 à la Kasbah, présidée par la Cheffe du gouvernement Nejla Bouden, est à considérer comme une réunion bilatérale entre le Gouvernement et l’UGTT, en présence d’un invité expert, la Banque centrale. Elle n’a d’ailleurs été qu’un prélude à leurs négociations annoncées pour un avenir proche, mais elle a donné des signes porteurs d’espoir tant les rapports étaient sereins et la conversation à la fois franche et souple. Cela nous pousse à rappeler les nombreuses fois où a été soulignée l’inéluctable coopération entre l’instance gouvernementale dans son ensemble et la centrale syndicale, dans toute perspective sérieuse et sincère de sortir le pays de son insupportable situation actuelle. Nous reprendrions également notre conviction de l’importance du rôle de l’UGTT, non seulement comme partenaire social privilégié, mais comme intermédiaire, raisonneur et modérateur, de tout le réseau relationnel impliqué dans le dénouement de la crise.

On a déjà vu l’étau se desserrer au niveau du Président de la République dont la dernière rencontre avec Noureddine Taboubi a servi davantage comme une caution que comme une injonction. C’est donc avec cette réunion de la Kasbah que les choses sérieuses commencent, avec l’espoir que nul imprévu ne vienne altérer, voire compromettre, ce processus d’action solidaire pour l’intérêt général.

Clairement dit

C’est d’ailleurs ce qui se dégage de l’introduction de Mme Bouden à la réunion, soulignant « l’importance du rôle social, économique et politique de l’organisation syndicale » et affirmant on ne peut plus clairement « la détermination du gouvernement à mener une action conjointe avec toutes les organisations nationales, et à instaurer la tradition de concertation et de dialogue franc et responsable entre le gouvernement et la centrale syndicale, sur toutes les questions vitales intéressant les Tunisiens ». Voilà qui est clairement dit et enregistré à la charge du Gouvernement.

Du côté syndical, M. Taboubi est allé dans le même sens, mais avec des précautions dictées, semble-t-il, par la délicatesse de la situation où se trouve l’UGTT aujourd’hui à l’orée de son 25ème Congrès prévu les 16-17-18 février à Sfax. Le report du congrès est certes revendiqué par un groupe d’affiliés, apparemment minoritaire (on parle de quelques dizaines), dirigé par Lassaad Yaacoubi et Mohamed Boughdiri et réuni sous le label « Initiative syndicale : pour la défense du syndicat et de son unité, au service de la patrie et les travailleurs », pour protester contre l’amendement de l’article 20 du règlement intérieur de l’UGTT permettant désormais à certains membres du bureau exécutif sortant de briquer un autre mandat au moins après les deux mandats écoulés. Or le jour même du 4 février 2022, le secrétaire général adjoint Sami Tahri a déclaré que « le 25ème Congrès de la Centrale syndicale se tiendra bien comme prévu le 16 février à Sfax », et que les préparatifs avancent normalement pour sa tenue à temps, n’omettant pas de préciser que le fonctionnement de la Centrale syndicale est commandé par ses lois organiques et son organisation interne.

C’est donc en tenant compte de cette ambiance précédant le congrès et à même de déranger son déroulement qu’il conviendrait de comprendre la déclaration de N. Taboubi : « La centrale syndicale est prête à amorcer un dialogue sérieux et responsable, aussitôt les travaux de son 25ème congrès terminés, et après l’élection d’une nouvelle direction à même de prendre des engagements avec le gouvernement ». De fait, le candidat à un troisième mandat à la tête de l’UGTT ne veut pas donner à ses adversaires plus d’arguments pour l’accuser d’autoritarisme et de convoitise du pouvoir, se conformant ainsi aux exigences de la pratique démocratique au sein de l’organisation et aux règles générales de la démocratie représentative, avec les aléas de son fonctionnement.

Intervalle interminable

Voilà donc que Taboubi et ses partenaires sont appelés à gérer, à l’intérieur de la famille syndicale, cet intervalle intermédiaire de tension déclarée entre deux groupes d’adhérents. Il y a gros à parier qu’il en sortira vainqueur, avec le discours qu’il faut et les moyens qui conviennent. N’empêche que sa déclaration à propos de la réunion avec N. Bouden cherche à sauver la manière et à inscrire le congrès et les négociations de l’UGTT dans la logique démocratique revendiquée par celle-ci pour la gestion des affaires du pays et notamment la gestion des nombreux entre-deux conflictuels qui font bouillir la marmite sociétale : entre le Président et les partis, entre le Gouvernement et les organisations professionnelles, entre les entreprises financières et les revendications sociales, entre l’Etat civil et l’islamisme politique, entre la liberté et la responsabilité sous le parapluie de la démocratie, entre le legs catastrophique d’une décennie noire et les signes d’espoir attendus dans l’urgence pressante, entre les partenaires exigés dans le dialogue avec le FMI, etc.

Aujourd’hui, la Tunisie attend une sagesse pratique orientée vers la limitation des effets de tout freinage pouvant constituer un sérieux obstacle à la démarche de résolution de sa crise. L’UGTT reste pour nous le principal intermédiaire et l’acteur indiqué pour gérer les entre-deux dans le sens de la proximité de convergence plutôt que dans celui de la distanciation de divergence. Cependant, le rôle des autres acteurs n’est pas de moindre importance tant qu’ils se laissent convaincre de l’opportunité de cet arbitrage intermédiaire et de l’importance l’action solidaire sur la voie des choix convenus.

    Mansour MHENNI