Le député de La France insoumise se présente une troisième fois à l’élection présidentielle et espère créer la surprise. A moins de deux mois du premier tour de la présidentielle 2022, il mise pour cela sur un programme de continuité, mais ne cesse de réinventer sa communication.

Jamais deux sans trois. Après 2012 et 2017, Jean-Luc Mélenchon se présente une nouvelle fois à l’élection présidentielle. Invité de l’émission Elysée 2022 sur France 2, jeudi 10 février, il espère enclencher la même dynamique qu’il y a cinq ans avec l’espoir de faire mieux que sa quatrième place et ses 19,58%.

Pour atteindre le second tour, le candidat — qui a troqué l’étiquette de La France insoumise pour celle de « L’Union populaire » — s’appuie sur ses fondamentaux : un programme résolument ancré à gauche, une communication innovante et une stratégie de mobilisation des abstentionnistes. Mais le député sait aussi qu’il devra surprendre et créer l’événement pour entrevoir le second tour du scrutin.

Avec trente pages de programme en plus

Présenté une nouvelle fois sous le titre « L’Avenir en commun » comme en 2017 (lien PDF), le programme de Jean-Luc Mélenchon se découpe en cinq grandes parties et 14 chapitres qui détaillent les principales propositions portées depuis plusieurs années par La France insoumise. Les totems de la planification écologique, du passage à une VIe République, de la sortie de l’Otan ou encore de la lutte contre les inégalités restent au cœur du programme.

« Par rapport à 2017, le programme a été précisé, notamment parce qu’il s’appuie sur cinq ans de travail à l’Assemblée, avec l’expérience de tous les projets de loi et les amendements déposés. Donc on a avancé sur le chiffrage, sur le détail », se félicite Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. « Il y a quand même une trentaine de pages en plus, on a amélioré les détails sur certains thèmes comme sur la police, la justice ou encore la santé », confirme le député Ugo Bernalicis. Et d’ajouter : « On n’a pas changé de ligne, mais on a ajouté des choses, notamment en raison des circonstances. Il y a cinq ans, on ne parlait pas du Covid… »

« Il a fallu aussi s’adapter à cinq ans de macronisme, il y a des choses qui étaient chiffrées en 2017, mais comme la situation s’est aggravée, des éléments ont bougé », ajoute le député Eric Coquerel qui prend l’exemple de l’augmentation des budgets prévus pour la transition écologique. Avec une série de livrets thématiques, un comparateur de programmes et des « plans » présentant les premières mesures d’urgence, le mouvement du leader « insoumis » a poursuivi son important travail programmatique. « Ensuite, il n’y a pas beaucoup de nouveautés dans le programme, il joue la carte du projet mûri », observe le politologue Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille 2.

Le programme comprend malgré tout quelques nouveautés comme la création d’un héritage maximal de 12 millions d’euros ou le rétablissement d’un impôt de solidarité sur la fortune incluant un volet climatique. Dans une campagne marquée par l’inflation et la question du pouvoir d’achat, le candidat Mélenchon parvient également à s’adapter. « On propose d’appliquer tout de suite un plan d’urgence social : avec un blocage des prix de première nécessité et d’énergie, l’augmentation du smic à 1 400 euros, une garantie jeune… » explique Eric Coquerel.

Enfin, Jean-Luc Mélenchon a amendé son projet européen. Les fameux plan A et plan B sont toujours présents, mais les mots ont changé. Il ne s’agit plus de « quitter » l’Europe si on ne parvient pas à la changer, mais de « désobéir aux règles bloquantes chaque fois que c’est nécessaire ». L’entourage du candidat évoque une approche « plus pragmatique et moins binaire », tirée de l’expérience des « insoumis » au Parlement européen. « Les gens nous ont dit en 2017 qu’ils ne comprenaient pas, donc on a tenu compte, explique Ugo Bernalicis. On créera du rapport de force et on utilisera les outils juridiques avec la clause du ‘opt-out’ pour pouvoir se mettre en retrait des traités à chaque fois c’est que c’est possible. »

Le meeting immersif pour créer l’événement

Après l’hologramme en 2017, l’équipe de Jean-Luc Mélenchon a eu une nouvelle idée : le meeting « immersif et olfactif ». Cette « première mondiale », selon les « insoumis », a permis de créer l’événement devant 3 500 militants présents à Nantes. « Pour l’odeur, c’était très léger, mais la mise en image était réussie », confie un journaliste présent au rassemblement.

« Ce n’est pas que des gadgets de communication, explique Manuel Bompard. On assume d’utiliser des moyens de campagne qui cherchent à marquer les esprits, pour intéresser les gens à notre programme. » Le candidat va continuer à développer cette stratégie de l’événement avec l’organisation d’une grande marche pour la VIe République le 20 mars et le retour des hologrammes le 5 avril.

Sur TikTok et Twitch, la maîtrise de la communication numérique

Comme en 2017, le candidat Mélenchon tente aussi d’investir tous les espaces de la communication. « Monsieur, j’adore votre compte TikTok ! » lance un lycéen bordelais à Jean-Luc Mélenchon dans une vidéo diffusée le 2 février sur la chaîne YouTube de l’influenceuse Magali Berdah. Pour les non-initiés, TikTok est une plateforme très prisée des jeunes et dédiée à la mise en ligne de courtes vidéos. « Je n’y croyais pas du tout, mais c’est un beau défi parce qu’il s’agit de faire en quelques secondes quelque chose qui soit un peu performant », répond Jean-Luc Mélenchon au jeune girondin.

@jlmelenchon

1 million d’abonnés ! Merci !

♬ son original – Jean-Luc Mélenchon

Lancé en juillet 2020, le compte TikTok du député LFI réunit à ce jour 1,4 million d’abonnés. C’est bien mieux que les 330 000 de Marine Le Pen, les 195 000 d’Eric Zemmour ou les 3 500 de Valérie Pécresse. Seul Emmanuel Macron parvient à faire mieux avec 2,8 millions d’abonnés. « TikTok, c’est une grammaire qui ne correspond pas du tout au monde politique à la base, il fallait trouver comment créer du discours politique dans la langue de ce réseau social », raconte Antoine Léaument, responsable de la communication numérique de Jean-Luc Mélenchon. Un membre de l’équipe de campagne est donc à plein temps sur TikTok afin de repérer les tendances et de proposer des idées de contenus. « On gagne à peu près 130 000 abonnés par semaine », avance Antoine Léaument. Et d’ajouter : « L’algorithme de TikTok nous permet aussi de sortir de la bulle cognitive que crée l’algorithme de Facebook, où vous ne verrez que le contenu positif sur votre candidat et votre contenu ne sera montré qu’à vos militants. »

« Les choses évoluent très vite, mais on conserve la volonté d’utiliser tous les lieux où il y a des interactions entre les individus. En 2017, c’était YouTube, cette fois, c’est TikTok », explique Manuel Bompard. Le candidat de « l’Union populaire » ne s’arrête pas à TikTok puisqu’il a également investi Twitch. Cette plateforme, utilisée à l’origine par les passionnés de jeux vidéo, lui donne l’occasion de réaliser l’émission « Allo Mélenchon« , où il répond en direct aux questions des internautes. « Cela nous permet de parler de notre programme avec le temps qu’on veut, d’avoir un lien direct avec les gens », se réjouit Antoine Léaument.

Jean-Luc Mélenchon n’oublie pas pour autant sa chaîne YouTube, qui compte désormais 660 000 abonnés, soit trois fois plus qu’en 2017 à la même époque. « C’est un influenceur », constate Antoine Léaument. « Toutes ces plateformes ont un gros avantage : après un passage télé, vous avez une deuxième vie pour l’émission politique grâce à tous les extraits que l’on choisit de relayer en ligne », analyse Eric Coquerel. D’autant que le candidat n’hésite pas à se rendre dans tous les médias, que ce soit chez Cyril Hanouna ou auprès de l’influenceuse Magali Berdah. « Il n’est pas méprisant et va dans toutes les émissions qui permettent de s’adresser à tous les publics », explique Manuel Bompard.

La structuration de la campagne

Pour cette nouvelle campagne, Jean-Luc Mélenchon a choisi de s’appuyer sur une nouveauté avec le parlement de « l’Union populaire ». Composé de 300 personnes, cet organe cherche à faire la liaison entre la société civile, les mouvements sociaux et la campagne. « Cela permet de montrer que le projet est porté par les gens, les associations, les corps intermédiaires », se félicite Ugo Bernalicis.

« C’est surtout utile pour constituer un sas pour des ralliements, cela permet de rejoindre Mélenchon sans passer par la case LFI », analyse le politologue Rémi Lefebvre. L’ancien journaliste Aymeric Caron, le député communiste Sébastien Jumel, l’ex-porte-parole de Sandrine Rousseau Thomas Portes ou encore la figure des marches pour le climat Claire Le Jeune ont ainsi sauté le pas.

En parallèle, Jean-Luc Mélenchon et ses équipes ont progressé sur l’organisation grâce à l’expérience acquise. « La campagne est très professionnelle. Ils ont par exemple internalisé l’organisation de leur meeting », constate Rémi Lefebvre. Le mouvement du candidat a également mis en place une plateforme numérique nommée « Action populaire », une sorte de réseau social qui permet aux militants de s’organiser. « On a créé la plate-forme avec 6 ou 7 développeurs, confie Antoine Léaument. Les gens peuvent mettre des événements, des actions et rencontrer d’autres ‘insoumis’… »

La stratégie de la « tortue sagace »

Comme pour le reste, la stratégie de Jean-Luc Mélenchon a subi des ajustements. « En 2017, il ne se revendiquait pas comme le candidat de la gauche, car Hollande avait un peu tué l’idée de gauche. Désormais on revendique clairement de redonner vie à une gauche », observe d’abord Eric Coquerel.

Il faut aussi s’adapter à un nouveau contexte politique. Les communistes ont décidé de présenter la candidature de Fabien Roussel et cela pourrait ainsi priver le député LFI de quelques points précieux au soir du premier tour. « Cela complique aussi l’obtention des parrainages pour Jean-Luc Mélenchon et cela mobilise l’énergie d’une partie de ses troupes », constate Rémi Lefebvre. Les polémiques sur l’union de la gauche et la séquence de la Primaire populaire ont perturbé le début de campagne des « insoumis ».

Sur le ton, Jean-Luc Mélenchon semble avoir du mal à trancher. La séquence de la perquisition dans les locaux de la France insoumise a abîmé l’image du tribun dans l’opinion, qui cherche à se radoucir. « Mais quand on voit son altercation avec un policier chez Hanouna, on a du mal à comprendre la stratégie », observe Rémi Lefebvre. Et d’ajouter : « Il n’a pas vraiment tranché entre deux options : donner des gages aux fameux fâchés pas fachos, et en même temps le besoin de rassurer l’électorat de gauche modérée. »

Avec des intentions de vote autour des 10% depuis plusieurs semaines, Jean-Luc Mélenchon n’a pas encore enclenché la dynamique de 2017. Mais il mise sur la mobilisation des abstentionnistes et des classes populaires pour créer la surprise. Il compte aussi sur les fruits de la course de fond présidentielle enclenchée dès novembre 2020. En meeting, le candidat s’est d’ailleurs décrit comme une « tortue sagace » qui « avance doucement et épuise les lièvres ». L’animal est devenu un symbole de ralliement et d’espoir des « insoumis » qui espèrent transformer la fable en réalité.

(D’après franceinfo)