Depuis fin février, l’Ukraine a été envahie par la Russie. Dépendante des importations dans plusieurs secteurs-clés, la Tunisie est loin d’échapper aux conséquences mondiales de cette invasion. C’est dans le volet alimentaire que la population tunisienne ressent les effets de la guerre.

En 2019, l’Ukraine représentait 47,7 % des importations de blé de la Tunisie, celles en provenance de Russie étaient de 3,97 %. Depuis le début de la crise ukrainienne, les conséquences économiques se ressentent partout dans le monde. Le degré d’impact se mesure à l’autosuffisance du pays concerné : pour la Tunisie, plus de la moitié du blé est importé.

L’incapacité de la production locale à répondre aux besoins de la population, mêlée au contexte international, rend inévitables l’inflation et les le spectre de la pénurie. Le syndicat agricole Synagri explique, de surcroît, que la Tunisie ne produit que 50 % de ses besoins en blé.

Le pain en crise

Les files d’attente devant les boulangeries ne mentent pas : la crise du pain est là. Les difficultés du gouvernement tunisien à boucler le budget et à s’accorder avec le FMI pour un nouveau prêt s’ajoutent à l’impact de la guerre russo-ukrainienne. « Les modes de consommation sont dégradés, certains produits sont très difficiles à trouver sur le marché », alerte Elyes Jouini, professeur d’économie a l’université Paris-Dauphine.

Dans un contexte social bouillonnant, la menace sur l’accès au pain est une source de tensions majeures qui s’inscrit dans l’histoire tunisienne. Les émeutes du pain en 1984 font partie des manifestations les plus violentes de l’histoire du pays, provoquant entre 70 et 140 décès. Historiquement et symboliquement, la baguette a une place importante dans la culture tunisienne. Lorsque cette dernière est brandie dans une manifestation, c’est pour dénoncer la hausse du pouvoir d’achat. On peut également ajouter que la consommation annuelle de pain en Tunisie est plus élevée que la moyenne : un Tunisien consomme environ 74 kilos de pain par an, contre 58 kilos pour un Français ou 60 kilos pour un Américain. Au Ramadan, la consommation de pain augmente. Selon l’Institut national de la consommation, la hausse de la demande est aux alentours 135 %.

 

Le président du groupement professionnel des boulangeries modernes, Mohamed Jamali, affirme que 30 % des boulangeries modernes ont fermé leurs portes à cause de cette crise. Les difficultés d’importation du blé et le rationnement de la farine s’ajoutent aussi à de graves sécheresses dans la plupart des pays d’Afrique du Nord qui fragilisent une production locale déjà limitée.

Possibilités limitées à court-terme

Pour l’économiste Elyes Jouini, les possibilités à court-terme sont limitées. Il voit dans le contexte ukrainien « une sonnette d’alarme pour restructurer l’agriculture tunisienne. » L’impact de la crise s’évalue à différentes échelles : l’explosion du prix du baril de pétrole rend le transport et l’acheminement plus coûteux et l’incertitude de la guerre rends les pays plus enclins à protéger leurs matières premières, dont le blé. La conséquence directe de cette dégradation est une forte demande émanant des pays qui n’ont pas la capacité de s’auto-suffire. « Plus la crise va durer, plus la chaîne alimentaire va être impactée » rajoute le spécialiste.

Malgré les subventions, le prix du pain a augmenté de 25 % ces deux derniers mois. Les réformes structurelles préconisées par le FMI pourraient s’ajouter à la complexité de la situation : l’institution demande un gel des salaires dans la fonction publique jusqu’en 2027, mais aussi la fin des compensations. « Le document envoyé au FMI [..] n’a pas été actualisé à la lumière des effets de la crise russo-ukrainienne », a dénoncé Nouredinne Taboubi, secrétaire générale de l’Union général des travailleurs tunisiens, dans un communiqué publié le 16 mars.

Le gouvernement tunisien assure avoir trois mois de réserve de blé. Il ne reste qu’a espérer une situation international apaisée d’ici là et que l’objectif de l’autosuffisance soit concrétisé pour tirer les leçons de cette crise.

 

Amine Snoussi