Les vacances d’été devraient être le moment où le ministère de l’Education devrait organiser des journées de réflexion sur la prochaine année scolaire et les programmes y inhérents. Parce qu’on ne le répétera jamais assez : l’enseignement de base est devenu catastrophique. Et les responsables en sont totalement conscients ; il n’y a qu’à lire le «Projet annuel de performance mission éducation année 2022» de notre ministère de l’Education. L’écrire c’est bien, le faire c’est mieux !

Les gamins sont en vacances depuis qu’ils ont terminé les «examens», même si la fin de l’année scolaire est le 30 juin. Mais que pourraient-ils faire à l’école quand il n’y a plus rien à apprendre ? Plus rien à apprendre ? Il y a toujours quelque chose à apprendre. Ils pourraient peut-être et tout simplement avoir un aperçu de ce qui leur sera enseigné à la rentrée ; une sorte d’initiation à la classe supérieure. Un peu à la manière de l’année préparatoire mais sur deux semaines. Mais cela est peut-être trop demandé à la classe enseignante qui ne rêve que d’une chose : se débarrasser d’élèves qui leur ont pourri l’année, et dont nombre sont hermétiquement fermés à l’apprentissage.

A qui la faute ? A tout un système, à commencer par les parents qui se reposent sur l’école pour faire de leurs enfants des génies -mais tout le monde ne peut pas être un HPI, un haut potentiel intellectuels- et qui ne regardent même pas ce que leurs gamins ont fait à l’école, les laissant regarder à la télé des programmes qui ne leur sont pas destinés, surfer sur le net sur des sites inappropriés pour leur âge, ou traîner dans la rue. D’ailleurs, l’enquête MICS-EAGLE 2021 a montré une faible implication des parents dans la vie scolaire, ainsi que dans le suivi de l’évolution des résultats de leurs enfants».

La faute à tout un système

La faute aussi au ministère de l’Education, qui, à chaque nouveau ministre, change la conception de l’éducation sans vraiment en changer, reprenant du vieux pour en faire du neuf, qui oblige les professeurs des écoles à donner des moyennes pour que tout le monde -même les plus nuls- passent en classe supérieure, et ce, afin de gonfler les statistiques, et qui n’envoie pas d’instituteurs suppléants que cela est nécessaire, laissant les élèves à la traîne. Le problème du recours à la suppléance est dû, selon le «Projet annuel de performance mission éducation année 2022» de janvier, et publié le 14 mars sur le site du ministère de l’Education, à «l’arrêt des recrutements et l’absence d’une politique claire d’affectation basée sur l’égalité des chances».

La faute aussi aux directeurs d’école qui mettent des instituteurs dans des matières qu’ils sont incapables d’enseigner car ce n’est pas leur domaine, même si un instituteur doit savoir enseigner toutes les matières proposées à l’école. Mais un chien n’a jamais fait un chat, et quand un professeur des écoles se retrouve à former de jeunes esprits dans une matière qu’il ne maîtrise même pas un peu lui-même, c’est catastrophique. D’ailleurs, le projet annuel de performance mentionne la «faiblesse dans la formation de base, notamment pour les nouveaux recrus (sic)». Et on en a les preuves en constatant le niveau des élèves et le nombre d’abandons -il n’y a pas que la «pauvreté» qui est en cause. Le décrochage et l’abandon scolaires sont, aussi, le fait des parents, qui inscrivent leurs enfants loin de leur domicile. Des enfants habitant, par exemple -et c’est une réalité- d’El Sidjoumi, sont inscrits dans des écoles du centre-ville de Tunis. Les parents pensant que les écoles à Tunis-ville sont meilleures que les écoles de leur quartier. Il est tout à fait normal qu’un gamin décroche quand, tous les jours, il doit se lever à 5h ou à 6h pour être à l’école à 8h, et qu’il rentre à la maison à une heure qui ne lui permet pas de réviser et de faire ses devoirs -quand il en a- car il est fatigué. Sans compter le temps qu’il passe à la garderie en attendant que l’un de ses parents le récupère à sa sortie du boulot. Il serait tant d’imposer aux parents d’inscrire leurs enfants dans l’école de leur quartier, avec une possibilité de dérogation pour motifs «impérieux» ; une dérogation sans une «petite enveloppe»…

De plus, la possibilité d’inscrire son enfant dans n’importe quelle école a engendré un phénomène de ghettoïsation, puisque des écoles du centre-ville de Tunis sont devenues des écoles regroupement uniquement des cas sociaux…

La multiplicité des programmes mise en cause

La faute est également aux professeurs des écoles, qui ont choisi l’éducation non pas par vocation mais pour avoir juste du travail sans risquer de se retrouver au chômage même s’ils n’apportent pas de rendement, et, qui, à cause de programmes très mal pensés, ne poussent pas les apprenants à réfléchir mais à reproduire bêtement. Ces mêmes instituteurs qui envoient les gamins faire des recherches sur le Net pour copier des informations qui ne sont même pas de leur niveau -ce qui fait la joie des gérants de Publinet.

Tout le monde est conscient et personne ne fait rien de concrets. Pour preuve, le «Projet annuel de performance mission éducation année 2022». On peut y lire une liste de points faibles de l’éducation chez nous. Parmi ces points faibles, «la baisse des performances du processus éducatif et le faible niveau des acquis des apprenants en matières principales et scientifiques et en langues, y compris l’arabe, en se focalisant sur les connaissances, aptitudes et contenus au détriment des compétences de vie, et le déclin dans les rendements scolaires dans les établissement scolaires primaires et en particulier dans les écoles rurales et les zones isolées», d’ailleurs, la «régression du niveau des acquis des élèves» fait «suite à une dégradation du niveau des élèves dans les matières de base. Le taux des élèves, ayant obtenues la moyenne dans les langues, a ainsi diminué de 64,7 % en 2019 à 57,03 % en 2020 au concours d’entrée aux collèges pilotes».

Pour le projet annuel de performance-et c’est une réalité- «la multiplicité des programmes et des méthodes d’enseignement a conduit à un écart important dans les acquis des élèves et a affecté négativement la plus-value attendue de l’année préparatoire et du cycle primaire», ajoutant qu’il existe «une faiblesse du niveau de rendement du système éducatif, ce qui nécessite une révision des programmes scolaires, et une formation de base et continue des enseignants en matière de méthodologie d’apprentissage qui reste traditionnelle». Les élèves font face à des programmes lourds et chargés avec des livres volumineux, qui ne servent que de bourrage de crâne. Du coup, ils n’arrivent à retenir grand-chose. Le constat est fait et aurait dû être fait depuis longtemps : il faut revoir les programmes de tout urgence.

D’autre part, il faudrait peut-être penser à supprimer la «sixième». Une année en plus dans un cursus long, c’est très contraignant, d’autant plus si le ministère de l’Education veut généraliser l’année préparatoire. Il prévoit un taux de 90,2 % d’élèves de la première année ayant suivi l’année préparatoire pour 2023, et un taux 91,5 % pour 2024, et de généraliser cette année préparatoire à toutes les établissements, avec un taux de couverture pour les écoles primaires en classes préparatoires de 54 % en 2023 et 55 % en 2024.

Avec des programmes moins contraignants et mieux adaptés au cours des cinq premières années du primaire, l’on pourrait se passer de la sixième…

Entre la théorie et la pratique : un gouffre immense

Les autres faiblesses soulevées par ce projet sont l’«élargissement de l’écart entre l’école et son environnement économique, car les cursus et les sections scolaires existantes à tous les niveaux de l’enseignement (NDLR : Primaire, collège, et lycée) ne sont plus en mesure de répondre aux besoins de la société, de l’orientation universitaire et des exigences du marché du travail», l’«absence de programmes de formation de base et continue en éducation inclusive», «la fragilité de l’école face aux phénomènes émergents tels que la violence scolaire, les addictions et l’extrémisme», «le système éducatif national manque de tout outil de mesure et d’évaluation externe, surtout après avoir abandonné la participation aux évaluations internationales», «le phénomène croissant du décrochage scolaire, tant sur le plan quantitatif que qualitatif», et la vétusté des «infrastructures, l’établissement scolaire n’étant plus un espace attractif pour les élèves, et les espaces pédagogiques et ludiques complémentaires à l’intégration scolaire sont limités».

En ce qui concerne cette dernière faiblesse, le projet annuel de performance fait état du «vieillissement de la majorité des écoles primaires créées avant l’an 2000 et qui représentent 96 % de la totalité des établissements scolaires», d’«un manque important des travaux d’entretien des écoles primaires» -pour la petite anecdote, une directrice d’une école primaire de Tébourba, dans le gouvernorat de La Manouba, avait demandé à ses élèves une participation monétaire pour pouvoir repeindre l’établissement, alors que dans cette zone il est vraiment difficile à de nombreuses familles de joindre les deux bouts !, Ce manque important de travaux d’entretien n’est rien face à d’autres situations. Ainsi «461 écoles manquent d’eau potable», «environ 10 % des blocs sanitaires sont non fonctionnels à cause du manque d’eau et 13 écoles manquent de blocs sanitaires pour les élèves».

Le «Projet annuel de performance mission éducation année 2022» met en avant des priorités et des orientations stratégiques comme «garantir la qualité du système éducatif à travers l’amélioration des acquis des élèves». Mais voilà entre la théorie et la pratique, il existe un gouffre immense et des investissements conséquents. Ainsi, «les dépenses du programme du cycle primaire pour l’année 2022 ont été fixées à 2.580.163 dinars contre 2.392.635 dinars en 2021 (sans tenir compte des ressources propres)». Les estimations sont de 2.633.999 dinars pour 2023, et 2.726.266 dinars pour 2024, toujours sans tenir compte des ressources propres des établissements scolaires.

Dans les conditions actuelles que connaît notre pays, et même avec des aides financières venues de l’étranger, le ministère de l’Education serait-il capable d’atteindre les objectifs qu’il s’est imposé pour une meilleure instruction en primaire ? Qui vivra verra…

Zouhour HARBAOUI