Depuis la révolution de 2011, les mouvements de protestation se font de plus en plus nombreux. Ils attestent de l’augmentation de la pauvreté et de l’aggravation des inégalités socioéconomiques. Tous ces facteurs, ont poussé beaucoup de jeunes à rejoindre les revendications populaires. Toutefois, la crise économique a énormément affecté les populations vulnérables et, plus particulièrement, le parcours des jeunes. Ces derniers, de plus en plus exposés aux conditions de vie difficiles, à la violence et aux discriminations, tombent facilement dans la délinquance.

Par conséquent, le taux d’occupation dans les centres de rééducation des mineurs délinquants, dépasse les 180%, a indiqué Moez Cherif, président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant. Dans ce contexte, Cherif a précisé, dans une déclaration accordée à l’agence TAP, que les différents intervenants se sont réunis dernièrement pour étudier les différentes options pour encadrer les mineurs délinquants et ce, dans le cadre de la loi et en collaboration avec l’Organisation tunisienne de lutte contre la torture. Selon la même source, les participants ont souligné l’impératif de ne pas incriminer les délits mineurs pour éviter la surcharge dans les centres de rééducation. A l’issue de cet atelier , une recommandation a été formulée portant sur l’impératif de transformer les peines complémentaires en des peines alternatives, dont la « liberté surveillée ». Il s’agit notamment d’accorder une mise en liberté des jeunes , conformément à un calendrier de suivi selon des horaires précises, ou aussi le placement de l’enfant dans un établissement de santé lorsqu’il est victime de dépendance aux drogues.

Malheureusement, malgré les nombreux programmes destinés aux jeunes qui ont abandonné précocement l’école ou les jeunes diplômés qui se retrouvent au chômage, cela n’est pas suffisant pour encadrer ces jeunes qui vivent dans l’incertitude, sans espoir d’un avenir meilleur, qui se sentent marginalisés, et qui ont surtout cultivé tout au long de ces des années un profond sentiment de colère, de frustration, de perte de l’estime de soi face à l’injustice et la disqualification sociale. Impuissants face à cette rude réalité, beaucoup de mineurs, qui se retrouvent privés d’un statut stable et rejetés par la société, se retournent contre elle, poussés par un besoin de vengeance et d’acceptation. D’où le recours à la délinquance et à la consommation de stupéfiants. De toute façon, ils sont tellement plongés dans le désespoir que même la prison ou les centres de rééducation ne leur font pas peur.

Les ressentiments et les rancœurs

Cependant, la surpopulation des centres de rééducation en Tunisie, n’a pas pour seules causes l’augmentation de la criminalité ou la capacité d’accueil réduite…, mais d’autres causes interviennent comme, l’a mentionné Moez Cherif, le recours à la peine de prison pour des délits considérés mineurs ou encore la prolongation de l’usage excessif de la détention provisoire ou préventive. Le problème est que dans la majorité des cas, les arrestations des jeunes (qui sont encore scolarisés) se produit en milieu de l’année scolaire. Par conséquent, ils se voient obligés de rater leurs examens parce qu’ils sont privés de leur droit à passer les épreuves. De ce fait, à leur sortie de prison, ces jeunes conduits par le sentiment de haine, sont capables du pire, surtout avec un antécédent de déséquilibre psychologique inévitable de par le manque d’encadrement, de par le mauvais traitement dans ces centres de détentions… Que pouvons-nous donc attendre de ces jeunes qui ont été privés des plus beaux jours de leur jeunesse en prison ? Le sentiment d’injustice ne normalise pas les jeunes mais a plutôt l’effet opposé.

Au lieu d’affliger de longues peines de prison pour les jeunes, ne devrions-nous pas reconsidérer leurs conditions de vie ? Rien ne justifie la criminalité, mais ces jeunes détenus ne sont pas nés délinquants : ils sont le produit de l’influence de la famille, de l’école et de la société. Si ces jeunes sont confrontés dès leur jeune âge à toute sorte de violence au sein de la famille (80% des enfants tunisiens subissent des violences dans leurs familles (UNICEF 2019), ou qui ont vécu avec des pères absents et insoucieux ou qui ont eu une vie marquée par de privatisations, d’échecs, d’abandon, de discrimination de genre et de précarité, ils résistent différemment à ces situations difficiles et sont de plus en plus exposés à la délinquance. Si la loi préfère garder ces jeunes en détention pour protéger la société de la récurrence des criminalités, ces jeunes seront encore plus agressifs et plus dangereux à leur sortie.

La jeunesse d’aujourd’hui est l’avenir de demain. Il y a encore un bon chemin à faire en Tunisie pour s’occuper de la jeunesse et lui fournir les conditions favorables pour une meilleure intégration sociale, scolarisation, opportunités de travail, moyens d’épanouissement et de divertissement accessibles à toutes les catégories sociales et non pas seulement aux plus aisés… Et tant que les prisons n’auront pas changé, tout homme qui y entre, a une chance de recommencer. Une chose est sûre, les délinquants, toutes proportions gardées, font moins de mal qu’un mauvais juge…

Leila SELMI