Par Samia Harrar

Il se pourrait que le temps fasse son œuvre, que la mémoire s’abîme, dans un naufrage sans fin. Il se pourrait que les mots viennent à manquer, que la vision « floute », ce qu’elle était censée ne jamais perdre du regard. Il se pourrait que les foules, déjà disparates, bientôt dispersées, se détournent aujourd’hui de ce qu’elles encensaient hier, et qu’elles conspueront demain. Il se pourrait tant de choses, sous tant de latitudes, il se pourrait… Mais un pays, qui n’honore pas la mémoire de ses artistes, est un pays qui finira par perdre le souvenir, de ce qui le faisait si singulier, si beau ! Et sa fierté dans la foulée, parce qu’il n’aurait pas su sauvegarder, avec tout le respect qui se doit, la mémoire de ceux, qui en ont façonné la mosaïque. Et qui en ont porté, haut les couleurs. Et le drapeau.

La culture est un bien précieux. Et ne relève pas de l’inessentiel. En temps de guerre, comme en temps de paix.  Parce que les Arts sont le viatique, par le biais duquel se nourrissent les peuples qui aspirent à s’élever vers les hauteurs.  Et que la culture est toujours la panacée, qui saura donner du sens là où tout ce qui fait sens s’effrite, pour affaiblir des civilisations qui ne peuvent pas évoluer mais se désagrègent forcément, lorsque l’amnésie collective, fruit de la volonté politique, ou d’un désengagement irresponsable, vouent aux marges, nos merveilleux créateurs, qui savent donner du bonheur à tout va, en allumant un soleil, dans la nuit la plus obscure. Il s’avère qu’il est non pas triste, mais révoltant, de constater que lorsqu’un grand artiste part, sous nos cieux, cela fait tout juste, pour les instances concernées, à peine un petit trou dans l’eau. Un rond, des cercles concentriques qui n’auront même pas loisir de s’élargir, pour montrer la béance. Déjà, le cours des choses est lisse. Et peu importe qu’un artiste soit parti. Il paraît que le monde ne s’arrête pas de tourner…

Un pays qui se respecte, marche à l’enterrement de ses artistes.  Les « instances concernées » sauront se reconnaître sans peine ; mais à quoi bon n’est-ce pas ?

Il paraît que Hichem Rostom n’a pas été mieux loti.

C’est tout simplement tragique…

Pour accompagner un grand photographe, à sa dernière demeure, le samedi : une poignée d’ami(es) et de familiers. Pour accompagner celui qui, pendant soixante ans, s’est toujours refusé à prendre en photo, tout ce qui n’est pas sa chère Tunisie, et uniquement sa Tunisie natale, qu’il a porté au cœur, jusqu’au moment ultime, il n’y eût pas, l’hommage national qu’il méritait, ni même un pâle reflet d’une velléité de reconnaissance pour son talent fabuleux, de magicien hors-pair, qui a voué une vie, au service de son pays, via son art photographique.  Non. Il n’y eût rien de tout cela. Le « Rien » de Duras qui renvoie à un effroyable vide.  Nul, et non-avenu, l’enterrement d’un immense artiste.  Nul et non avenu. Comme tous ceux qui l’ont précédé, et qui ont connu le même sort.

Jacques Pérez, pour son dernier voyage, au Borgel, aura eu, du moins, des jasmins par poignées, pour lui rappeler des temps heureux. Ceux d’une Tunisie, plurielle et riche, qui n’avait pas à se prévaloir d’une identité tronquée.  L’odeur tenace et entêtante du jasmin, l’accompagnera pour l’éternité.  C’est une fragrance qui résiste à l’oubli. Et qui respecte la mémoire de nos artistes ESSENTIELS. Que notre ingratitude veut vouer à l’oubli.  Un pays qui se respecte, n’oublie pas ses artistes…