Par Hédi CHERIF  & Hédi DAHMANE (Sociologues)
Dans une lecture croisée, avec mon ami le sociologue Hédi Dahman, nous avons eu l’immense plaisir de mettre notre focus sociologique sur l’ouvrage ‘’Parole de psychiatre’’ publié récemment par le professeur émérite Farid Kacha et écrit pendant le premier confinement imposé par la COVID 19.
Etant un éminent psychiatre connu et reconnu en Algérie, comme au Maghreb, ce dernier a toujours considéré que la psychiatrie ne peut en aucun cas être assimilée aux autres spécialités médicales, du fait de ses rapports étroits et organiques avec l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, et la politique. Ainsi, le professeur Farid Kacha, qui se voyait ‘’Fanonien‘’ de culture, est tout d’abord algérien de cœur, mieux encore  Gramscien d’esprit.
Il appartenait à une génération qui avait 20 ans à l’indépendance de son pays, chéri ‘’L’Algerie‘’. Une génération qui s’est engagée à remplir chacun dans son domaine, ce qu’elle pensait avoir découvert de sa mission dans un rude combat contre un héritage lourd et désastreux d’un siècle trente-deux ans d’une colonisation afin d’effacer ses multiples séquelles infra et super-structurelles .
Algérien de cœur, Fanonien de culture et Gramscien d’esprit, notre ami Farid Kacha, dans une œuvre testamentaire, nous dresse une autobiographie d’un cursus de psychiatre hors norme, un psychiatre, qui par son militantisme médico social et politique, s’est élevé au rang de ‘’l’intellectuel organique‘’ selon le concept du  penseur italien Antonio Gramsci.
Son choix pour la psychiatrie n’est pas un fait du hasard, bien au contraire c’est un choix qui puise son sens, comme sa légitimité dans un subconscient qui a la qualité de la perception de la pensée et de la réaction.
Parmi les événements qui ont marqué son choix pour la psychiatrie :
1/_ L’importance de la parole thérapeutique, comme moyen pour atténuer la souffrance des malades, par la relance des centres de motivation du cerveau afin de les propulser dans l’action.
2/_ Sa querelle avec la mort et la médecine a débuté avec un drame familial celui de ‘’la mort’’ de son frère ainé Mourad à l’âge de deux ans suite à une maladie, un évènement qui l’a toujours marqué et ‘’n’a jamais cessé d’être vivant dans sa mémoire‘’,. Ce drame a été déterminant dans son choix pour la psychiatrie, pour mener un combat contre la souffrance d’où elle émerge.
Le subconscient qui avait la qualité de la perception, de la pensée, et de la réaction semble être à l’origine de ce choix émanant d’une volonté nourrie par un drame familial appelé ‘’Mourad‘’ et traduit dans un acte de ‘’IRADA’’ ou ’’Volonté’’ contre la souffrance de la mort. L’auteur de l’ouvrage Farid Kacha faisant référence à Freud et avoue que ‘’là où il y avait un ça, doit surgir un moi’’.
Le ‘’Moi‘’ de Farid Kacha, qui a surgi et qui s’est développé dans une dynamique psychiatrique très mouvementée pour ne pas dire conflictuelle a bien préparé la route aux nouvelles générations des psychiatres.
La génération qui a succédé à celle de Frantz Fanon, connu pour son militantisme contre une psychiatrie coloniale tenue par Antoine porot et Lombrozzo, comme celle des Khaled Ben Miloud, Mahfoudh Boucebsi,  Ridouh et Farid Kacha, si différents de caractère ou de choix académique soient-ils, et faute de moyens en matière de sciences de management, de coaching et de développement personnel, ont quelque part manqué de savoir-faire dans la gestion des projets futuristes.
Le ‘’Nous rassembleur‘’ faisait défaut à l’époque et cédait la voie à la suprématie d’un égo souvent séparateur ‘’un égo qui a souvent entravé la succession fluide des rôles et des statuts d’une génération à une autre.
Je voudrais revenir sur les réalisations de Farid Kacha et ses équipes, et qui sont nombreuses à énumérer en quantité, et très délicat à évaluer en qualité demeurent à ce jour, des réalisations grandioses en matière de développement sanitaire, de programme de santé mentale, de développement humain, académique, universitaire dans un pays qui regorge de richesses de toute sorte.
Malgré ces acquis précieux, malgré les efforts déployés depuis plus de cinq décennies de militantisme médicosocial de toute une génération, Farid Kacha, l’homme qui se voyait fort dans son fief, l’homme qui a été chargé de fortes et sérieuses missions médicolégales, telle que celle de l’expertise de l’assassin du  Président Boudhief à Annaba à la fin de la décennie noire des années 90, comme celle de la libération des otages américains en Iran, à côté d’autres missions académiques, universitaires et sociales, ce personnage emblématique dans le monde de la psychiatrie algérienne et maghrébine n’a pas caché sa grande déception et son amertume pour dire que ‘’Nous avons l’impression d’être face à une sorte « d’absolescence programmée » . Il ne s’agit pas là d’une absolescence naturelle celle qui touche tous les êtres vivants à un moment de leur parcours‘’, disait-il, mais d’une ’’absolescence sociale et professionnelle’’, ou un désenchantement national selon Hélé Béji.
L’homme qui se voyait émotionnellement et organiquement lié à une mère patrie  ‘’Algérie‘’ se trouve appelé avec bien d’autres à partir comme un ‘’étranger au pays‘’. L’orphelinat professionnel et social semble être en elle-même une source de souffrance.
Est- ce une ingratitude pour ceux qui ont tendu la main droite et celle du cœur à leur pays ? Est-ce une persistance d’un conflit intergénérationnel qui continue à nourrir de telles désobligeance ? Quel acteur social à culpabiliser face à une telle absolescence ouverte et déclarée ? Comment apprendre à tisser en fils d’acier un maillon de chaine intergénérationnelle ? Lui, qui est parti pour un combat contre la souffrance, le Professeur Kacah qui mérite toute notre considération et tout notre respect, semble s’en plaindre à mort !
Pour atténuer une souffrance pour laquelle il s’est sacrifié toute sa vie, le Capo Kacha creuse dans la philosophie d’Albert Camus, pour dire ‘’La lutte elle- même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sysiphe qui remontait un rocher péniblement depuis des décennies ne s’est pas fatigué, bien au contraire il continue à être heureux‘’.
Cette œuvre semble être imbibée de philosophie, de perception sociologique, de poésie par référence à Hegel, Marx, Bourdieu, Camus, Fanon et à Nietzsche. ‘’Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou…‘’ [p 62]. Rien ne s’est accompli de grand dans ce monde sans passion selon les terme de Hégel. S’il n’est pas nécessaire pour le philosophe d’être psychiatre, le psychiatre lui a besoin d’être philosophe.
Ce livre, testament ou récit, construit à travers les différents aspect de la vie communale, politique, le savoir, l’émotion, et la souffrance causée par l’ingérence judiciaire et politique dans la psychiatrie jugée dangereuse et déterminante, mais quand même stigmatisée, et manipulée par les manigances du pouvoir.
Pour conclure, tout en incitant votre passion à la lecture, ‘’Parole de psychiatre’’ pourrait être considéré comme illustration d’un précédant récit ‘’Encore vivant’’ de Pierre Souchon, journaliste au journal le monde diplomatique qui a pété les plombs quant au phénomène de la démence tel que décrit par Michel Foucault dans son livre ‘’L’histoire de la folie‘’.