Inhabituellement silencieux… Alors que le Fonds monétaire international (FMI) a fait état de « progrès satisfaisants » dans les négociations avec les autorités tunisiennes sur des « réformes profondes et structurelles » en échange d’un soutien financier dans un communiqué publié mardi à l’issue du séjour d’une mission d’experts dépêchée par le grand argentier international à Tunis entre le 4 et le 18 juillet, on les entend à peine.  C’est la première fois que les dirigeants de l’Union Générale tunisienne du travail (UGTT) se font aussi discrets depuis la révolution de 2011, qui a balayé le régime de Ben Ali.

Oubliées les imposants rassemblements habituellement organisés à la place Mohamed Ali, les discours enflammés du secrétaire, les rodomontades et les tours de chauffe dans les rues de Tunis.

Même l’ouverture d’une nouvelle séquence de dialogue sur les dossiers sociaux en suspens n’a pas été annoncée par les dirigeants de la puissante centrale syndicale. C’est le ministre des Affaires sociales, Malek Ezzahi, qui a annoncé la tenue « prochainement » d’un nouveau round de négociations entre le gouvernement et l’organisation ouvrière.

En marge d’une rencontre tenue à l’occasion du lancement du nouveau portail du ministère des Affaires sociales, ce ministre très proche du président Kaïs Saïed a nié l’existence d’un quelconque conflit entre le gouvernement et la centrale syndicale.

« Le dialogue entre les deux parties n’a jamais été rompu, en témoigne les réunions quotidiennes entre les comités de l’emploi, des relations professionnelles et l’inspection générale de travail et de réconciliation » a-t-il affirmé, précisant que le gouvernement et l’UGTT œuvrent de concert à assurer la réussite du processus de négociations.

Le ministre des Affaires sociales a qualifié les relations entre le gouvernement et la centrale syndicale de « stables et permanentes », exprimant l’engagement du gouvernement à poursuivre le dialogue avec les partenaires sociaux concernant tous les dossiers.

Après cette déclaration, l’organisation a continué à se murer dans le silence.

Grand flou

L’atonie apparente de l’UGTT s’explique sans doute par le son attitude attentiste, alors qu’un grand flou entoure les orientations futures de l’exécutif.

En recevant, le 22 juin dernier le directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale au FMI, Jihad Azour, Kais Saied a reconnu la « nécessité d’introduire des réformes majeures », tout en réclamant que celles-ci « tiennent compte des dimensions sociales », selon un communiqué de la présidence. « Il y a des droits dont bénéficient les humains, tels les soins et l’éducation, qui ne sauraient être abordés selon une approche de profits et de pertes », a-t-il plaidé.

Le gouvernement semble ainsi être pris une contradiction radicale entre le discours du président qui défend les couches les plus pauvres et un programme de réformes ultra-libéral libéral qu’il a présente FMI et qu’il n’ose pas défendre ou dévoiler en détail. Alors que l’inflation s’est envolée à plus de 8% et que le taux de chômage dépasse 16% (42% chez les jeunes), le programme de réformes structurelles soumis par le gouvernement FMI prévoit notamment le gel de la masse salariale de la fonction publique, une réduction des subventions aux produits de base et une restructuration des entreprises publiques.

Position inconfortable

Par ailleurs, les relations entre l’UGTT et le palais de Carthage ne sont pas au beau fixe. L’UGTT qui a rejeté la participation au dialogue national organisé par Kaïs Saïed s’est retiré de la campagne pour le référendum sur la nouvelle Constitution, autour de laquelle elle a émis plusieurs réserves.  Elle a cependant laissé le libre choix à ses adhérents de participer ou pas à cette large consultation populaire.

« Compte tenu de la diversité qui caractérise l’UGTT et la famille syndicale, la centrale

Syndicale a décidé de déléguer à chacun et à ceux qui partagent nos visées, la liberté de choisir et de participer au référendum ou pas », avait déclaré le secrétaire général de l’organisation, Noureddine Taboubi.

La neutralité affichée par le responsable syndical s’explique notamment par le fait que la centrale syndicale compte plusieurs soutiens du chef de l’Etat issus de la mouvance nationaliste arabe et de la gauche radicale au niveau de ses instances dirigeantes nationales et intermédiaires.

Marginalisée par le président de la République comme la plupart des corps intermédiaires, l’UGTT se trouve de facto cantonnée à un rôle strictement social après avoir été au centre du jeu politique depuis la révolution. Mais là encore l’organisation ne semble pas à bout de ses peines.  Les leaders de l’UGTT savent désormais mieux que quiconque que le programme d’aide est crucial pour l’avenir du pays, dont la dette extérieure a atteint 100 % de son PIB en 2021 dont les caisses sont quasiment vides… Le gouvernement a en effet élaboré un budget 2022 s’appuyant sur un endettement de près de 20 milliards de dinars, dont près des deux tiers sous forme d’emprunts extérieurs. Ce budget a été établi sur la base d’un baril de pétrole à 75 dollars, alors que celui-ci dépasse 100 dollars aujourd’hui.

Dans ce contexte, tous les observateurs s’attendent à ce que la centrale syndicale finisse par accepter la mise en œuvre des réformes structurelles présentées par le gouvernement au FMI, tout en tentant d’en atténuer l’impact sur les couches les plus vulnérables de la société.

                                                                                                           Walid KHEFIFI