Décidément, la rumeur colportée depuis le mois d’avril 2022, concernant l’interdiction pour les binationaux de se présenter aux élections, s’est concrétisée, après la promulgation du décret-loi électoral publié au journal officiel de la République tunisienne (JORT) le 15 septembre 2022. Ils peuvent cependant se présenter au niveau des circonscriptions où il se trouvent à l’étranger.

Est-ce à dire que ces binationaux sont déchus de leurs droits civiques ? Cela constitue, en tous les cas une exclusion contraire à la Constitution laquelle, permet à tout citoyen tunisien d’acquérir toute autre nationalité sauf la nationalité israélienne, la Tunisie étant contre la normalisation avec ce pays à cause de sa politique expansionniste et inique envers le peuple palestinien.

Ce qui a suscité les remous aussi bien des partis politiques que de plusieurs citoyens binationaux qui avaient jusque-là, le droit de se présenter aux élections législatives sans problèmes.

Le président de l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (ATIDE), Bassem Maatar, a commenté la nouvelle loi électorale en dénonçant tout d’abord « l’unilatéralité de cette décision présidentielle ».

 « Violation des principes électoraux » ?

Il voit en cette exclusion « une violation des principes électoraux », ajoutant » qu’interdire les binationaux aux élections est de nature à les priver de leurs droits civiques ». Or seuls sont déchus de leurs droits civiques, ceux qui ont fait l’objet d’une décision e justice dans ce sens. C’est d’ailleurs une peine complémentaire à celle de la peine de prison qui n’entraine pas la déchéance des droits civique.

Certes la décision est politique, et elle n’est surtout ni gratuite ni arbitraire. En effet, parmi les binationaux il y a ceux qui   ont été élus au parlement et ont même eu de responsabilités au sein de l’Etat. Plusieurs anciens chefs de gouvernements et candidats à la présidentielle étaient porteurs d’une nationalité étrangère en plus de leur nationalité tunisienne. Certains ont pris l’initiative de renoncer à leur deuxième nationalité pour candidater à la magistrature suprême. C’était une procédure obligatoire selon la Constitution tunisienne de 2014, une fois officiellement élus.

Cependant parmi les binationaux, il y avait ceux qui après avoir commis des actes de malversations ont fui le pays, la deuxième nationalité leur procurant une sorte de protection. Il y a aussi cette manie de se référer à l’étranger, en croyant ou en faisant croire que c’est seulement en Tunisie qu’il y a des problèmes d’injustice et de discrimination. C’est une méprise car dans tout pays, la course pour le pouvoir engendre des problèmes de droits et de libertés.

Citoyens à part entière

Toutefois, Kais Saied, imbu de l’expérience du passé, et bien qu’élu en vertu de la constitution de 2014, dont il s’est réclamé de prime abord pour changer le panorama politique, a œuvré, de manière sagace et avertie, à écarter ses adversaires et surtout ses détracteurs. Par ce décret-loi, il a pu marquer des points positifs en exigeant des candidats aux élections de présenter un extrait du casier judiciaire vierge. Il est bien normal d’exiger d’un représentant des citoyens, censés défendre leur droit, qu’il n’ait pas eu lieu maille à partir avec la justice pour des affaires de malversation ou de corruption.

Quant à exiger qu’un candidat aux élections ne soit pas binational, cela constitue, selon la plupart des observateurs une exclusion qui créé une discrimination parmi les citoyens. Car les binationaux, sont considérés en Tunisie comme des Tunisiens, et ne peuvent se réclamer d’aucune autre nationalité tant qu’ils sont sur le sol tunisien et sont traités comme tels.

Une autre formule aurait pu être prévue afin d’éviter une exclusion d’un bon nombre de citoyens binationaux, consistant pour les députés également à renoncer provisoirement à la deuxième nationalité et ne la récupérer que quelque temps après, soit le temps de faire la reddition de compte qui peut être demandée désormais à tous les députés selon le même décret-loi. Ce qui éviterait cette mesure que la plupart des observateurs ont jugée de discriminatoire, et qui tend à exclure un bon nombre de citoyens à la candidature aux législatives.

De l’avis des commentateurs, ce décret-loi est fait sur mesure, de manière à exclure tous ceux qui ne partagent la position de Kais Saied, notamment concernant la composition du Parlement qui est déjà et selon la nouvelle Constitution, une fonction et non un pouvoir. Or parmi les détracteurs, comme par le passé, il y a eu pas mal de binationaux, qui en critiquant la politique en Tunisie, agissent en tant qu’étrangers.

Le boycott est-ce la solution ?

Est-ce pour cette raison que Kais Saied a écarté les binationaux des élections ? quoi qu’il en soit le décret-loi électoral ne peut être éventuellement mis en cause qu’ultérieurement, en cas de recours devant la Cour constitutionnelle. Ce n’est pour le moment qu’une hypothèse d’école, Cette Cour tant attendue n’est même pas installée, bien qu’elle soit consacrée par la nouvelle Constitution.

Les élections législatives auront lieu le 17 décembre prochain. Plusieurs partis et membres actifs de la société civile parlent déjà de les boycotter, en excipant des multiples exclusions en vertu du décret-loi électoral. Mais est-ce la solution ?

Une question à laquelle, le citoyen, ballotté entre différents courants et emporté au gré des vents de la politique, et face à la cherté de vie et une situation économique des plus désastreuse, est pour le moment incapable d’y répondre.

 

Ahmed NEMLAGHI