Le président de la République donne un coup de fouet au processus de la réconciliation pénale, selon ce qu’il avait planifié, c’est-à-dire restituer les biens mal acquis et les fonds dont a été spolié le peuple, par le biais d’investissements en tous genres et en fonction des besoins du pays. Ce n’est pas chimérique. Encore faut-il trouver la panacée et la juste mesure. En d’autres termes, convaincre ceux qui sont répertoriés dans la liste, à l’étranger, comme ici, en Tunisie, du bienfondé de ces arrangements. Ce sera long, car c’est un vrai chantier. Mais ne dit-on pas qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ? Surtout, ne pas prendre exemple sur l’instance de Sihem Ben Sedrine…

Enfin les membres de la commission de réconciliation pénale, viennent de prêter serment devant le Président de la République. Toutefois, la réconciliation pénale n’existe pour le moment que dans les textes. En effet, le décret-loi du 20 mars 2022 émis par Kais Saied, a emboité le pas à la loi promulguée par feu Béji Caed Essebsi l’ancien président de la République en 2017, afin de réaliser l’idée qui le taraudait depuis son élection à la magistrature suprême, voire depuis qu’il était encore professeur de droit.  Un décret-loi « Afin que le peuple puisse récupérer l’argent qui lui a été volé, au lieu de se contenter des affaires judiciaires en instance devant les tribunaux, et qui n’ont pas permis à notre peuple de récupérer grand-chose », a-t-il déclaré lors de la promulgation dudit décret. Seulement jusqu’à présent ce décret n’a pas été entièrement mis en application. Kais Saied ne fait qu’évoquer à chaque occasion la nécessité d’une réconciliation pénale, la dernière en date a été, lors de sa visite, mardi dernier aux locaux de la commission nationale de réconciliation pénale. Il s’est justement interrogé sur les raisons derrière l’absence des membres de la commission de réconciliation. « Ces derniers n’ont toujours pas pris leurs fonctions malgré la publication d’un décret présidentiel à la date du 11 novembre 2022 », a-t-il déploré. Or cette commission n’a été installée que mercredi dernier. En vertu du décret en question, dans son article 8 : « Les membres de la Commission nationale de réconciliation pénale sont nommés par décret présidentiel pour une période de six (6) mois, renouvelable une seule fois ».  Ils sont tenus en outre de prêter serment devant le Président de la République avant la prise de leur fonction.  Ce n’était justement que mercredi dernier, qu’ils ont prêté serment après avoir été reçus par le président de la République.

Ils doivent maintenant déclarer leurs biens à l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC). Or cela semble encore irréalisable pour le moment, l’INLUCC étant encore en veilleuse et ses locaux toujours fermés.

Le paiement éteint l’action publique

On comprend que Saied veuille brûler les étapes en incitant à une réconciliation pénale qui selon l’article 2 du décret-loi doit permettre de « substituer l’action publique ou les poursuites, procès, peines et réquisitions y découlant, qui ont été ou devant être présentées au profit de l’Etat ou de l’un de ses établissements ou quelconque autre partie, et ce, par le paiement de sommes d’argent ou la mise en œuvre des projets nationaux, régionaux ou locaux selon que de besoin ».  Mais il faudrait installer les assises permettant la mise en application du décret de façon légale.

La cheffe du gouvernement ainsi que la ministre de la justice ont dû certainement œuvrer à la mise en application dudit décret, en procédant à proposer au Président de la République les nouveaux membres de la commission de réconciliation en vertu de l’article 8 dudit décret, qui ont enfin prêté serment. Les membres de la commission ont été choisis parmi « les magistrats judiciaires qualifiés du troisième grade », ainsi que les deux vice-présidents qui sont choisis parmi « les présidents d’une chambre de cassation près le tribunal administratif et les présidents d’une chambre de cassation près la Cour des comptes ».

Qu’en est-il de l’INLUCC ?

Il semble que cette instance renaisse de ses cendres depuis le mois d’octobre 2022, date à laquelle Nadia Saâdi, conseillère des services  publics a été chargée, provisoirement de ses affaires administratives et financières et ce, en vertu d’un décret présidentiel du 21 octobre 2022. Seulement actuellement, le siège principal ainsi que les sièges régionaux de l’instance sont encore fermés. La reprise de l’instance est donc nécessaire afin de mettre en application toutes les exigences du décret relatif à la réconciliation pénale, concernant la déclaration nécessaire des biens par les membres de la commission de réconciliation.

Il va sans dire que cela va demander encore du temps et aussi bien le Président de la République que les membres du gouvernement doivent s’y mettre afin d’entamer la réconciliation pénale, si chère à Kais Saied, qui cependant ne semble pas très bien renseigné sur les modalités d’application d’un décret qu’il a pourtant lui-même promulgué. Ce n’est pas bien grave, car l’intention est bonne. Cependant il n’y a pas de temps à perdre, surtout que Kais Saied est pressé de « restituer l’argent du peuple ». Mais il ne faut que ça paraisse un simple slogan. La mise en application du décret doit au moins commencer du côté des tribunaux dans des affaires de corruption et de gros sous, pour préparer le terrain, en proposant aux mis en cause s’ils sont prêts à restituer l’argent détourné et indu, selon les modalités du décret relatif à la réconciliation pénale. C’est au procureur de la République, selon l’article 19 dudit décret, de transmettre la demande par l’intéressé à la commission de réconciliation. Les fonds restitués serviront au financement de la mise en œuvre des projets de développement dans différentes régions du pays.

Tribunal spécialisé et non spécial

Il est temps donc d’agir en joignant l’action à la parole et en procédant toutefois par étapes, afin de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Cela veut dire qu’il ne faut pas que la commission nationale de réconciliation ait l’air d’un tribunal d’exception, constitué sur mesure, mais une instance transparente et indépendante, afin qu’elle statue de façon impartiale en procurant aux mis en cause toutes les conditions d’un procès équitable. Un pas est déjà franchi avec la nomination et la prestation de serment des membres de ladite commission. Mieux vaut tard que jamais, mais ce n’est que la première pierre à l’édifice, en attendant que le processus soit complètement accompli afin de pouvoir récupérer l’argent du peuple qui doit au revenir au peuple.

 

Ahmed NEMLAGHI