Par Rouf Khalsi

 Il est clair que la Tunisie va mal. Il est tout aussi clair qu’engoncée dans ses préoccupations vitales, la majorité des Tunisiens ne croit plus en la chose publique, ni en les institutions

Nous sommes décidément à un tournant décisif dans la vie de la Nation. L’amorce d’un virage salutaire dépendait-il, néanmoins, de l’issue de ces législatives ?

Les maximalistes de tout bords répondront que rien de bon ne se fera plus jamais, tant que le régime en place (oui, il s’agit bel et bien de régime) n’aura pas rabattu ses cartes. Selon leur raisonnement l’unilatéralisme saiedien aura poussé le pays vers l’impasse.

Son référendum autour d’une constitution taillée sur mesure pour un présidentialisme « décapant », tout autant que le simulacre de dialogue national n’auront fait que servir les intérêts d’une opposition de pacotille, embourbée dans les clichés puisés dans une ploutocratie de sinistre mémoire.

Il n’est pas dit que ces maximalistes soient opposés au processus du 25 juillet ; rien n’indique non plus que, dans leur esprit, la personne et la fonction du président doivent être mises en équation.

Cette dévotion louvoyante

En revanche, la dévotion qui sonne comme un culte de la personnalité ressemble plus à l’effronterie qu’à la conviction que ce processus doive obstinément suivre la même trajectoire. On a bien vu de quelles couleurs sont drapées les réactions après les résultats de ces législatives, en attendant un deuxième tour qui sera peut-être encore plus fade que le premier. Ça oscille entre dépit néanmoins maquillé en autosatisfaction, à l’instar de la logorrhée dont nous a gratifié un Farouk Bouaskar guère enclin à l’autocritique et plutôt porté sur la vénération. C’est comme cela qu’on défigure une démocratie. Et c’est là aussi l’une des techniques  du prosélytisme de mauvais aloi.

Cela va aussi jusqu’aux dérives langagières d’un Brahim Bouderbala catégorisant les citoyens entre patriotes et d’autres qui le seraient moins… Nous osons espérer que ce vieux défenseur des libertés se ravise de croire que les urnes représentent, elle aussi, une expression de la liberté.

Une liberté de conscience, avant tout. Liberté citoyenne aussi.

Or qu’avons-nous en face ? L’opposition. L’autre tendance des maximalistes. Voilà qu’elle se pavane. Parce-que, dans ses habituels reflexes de l’instrumentalisation et de la récupération, Rached Ghannouchi, qui est poursuivi par la justice, déclare que le peuple a dit son mot et que Kais Saied doit accepter sa défaite et se retirer. Lui emboitant le pas, Néjib Chebbi, jadis l’opposant qui donnait des sueurs froides à Ben Ali, tient les mêmes propos et guère conscient dans sa fièvre du pouvoir qui se refuse a  lui.

A l’aune de la révolution, il jurait par tous ses dieux que, jamais, il ne pactiserait avec Ennahdha. Voilà qu’il le fait, ne retenant pas les leçons essuyées par Moncef Marzouki et Béji Caïed Essebsi.

Les basses contingences…

Ce « Front du Salut », formule cocotte minute peut aussi compter sur le témoin du mal par excellence : Amine Mahfoudh, constitutionnaliste qui s’était fait prendre (tout autant que Sadok Belaïd) ne se doutant pas que Saïed avait sa constitution à lui et que cette constitution n’aurait rien de réellement parlementariste. Dans cette faune, Jawher M’barek dépité d’avoir été éjecté des sphères dans lesquelles planait déjà Kaïs Saïed au moment où une véritable razzia électorale le propulsait à Carthage.

Le même ressentiment ayant taraudé Mohamed Abbou, le premier à avoir imploré Saïed pour l’activation de l’article 80 et le premier aussi à crier à la dictature.

Maintenant, au-delà de l’écume des choses, peut-on affirmer que ce flop électoral consacre l’échec de tout le processus du 25 juillet ?

Et, finalement, quelle solution de rechange ?

La réponse ne peut venir que des Kaïs Saïed en personne. S’il remet sur la table la ritournelle des chambres obscures et sa théorie fétiche (celle du complotisme) on passera à côté de l’impérieuse introspection. Si, au contraire, il décide d’assumer ses choix et de réaliser enfin que son slogan électoral ne correspond plus à ce que le peuple veut réellement, là nous aurons une ébauche de sortie de crise. Car ces législatives ne sont finalement qu’un marqueur, qu’un révélateur chimique. Parce qu’à l’envers du décor, les Tunisiens n’ont plus le cœur à s’occuper de politique. Leurs besoins vitaux sont ailleurs. Ils ne sont même plus disposés à se laisser confondre dans les artifices des idéologies. Le peuple ne s’en laisse plus bercer.

Finis les temps des incantations idéologiques, toutes surgies au 14 Janvier 2011. Il tient néanmoins à la démocratie et à sa République.

C’est l’équation irréversible. Comme le dirait Georges Bernanos : « Ce sont les démocrates qui font les démocraties, et c’est le citoyen qui fait la république ».

Et il ne faut pas confondre entre l’Etat et la République…

En ce qui nous concerne, la république est là, l’Etat, quant à lui, doit être plus présent, plus citoyen…