C’est à l’occasion du jugement  rendu dernièrement  par le Tribunal administratif en  faveur  de deux membres de l’Instance vérité et dignité (IVD), Lilia Bouguira et Mustapha Baâzaoui, limogés par la présidente de ladite instance, que  ce dernier est intervenu à la chaîne nationale pour nous rafraîchir la mémoire sur cette instance qui est presque passée à l’oubliette, mais dont les conséquences de certaines de ses décisions ont été selon Baâzaoui préjudiciables pour le pays en ce sens qu’elle a agi essentiellement dit-il « pour servir les intérêts du mouvement Ennahdha. »  Ces deux membres ont formulé un recours devant le Tribunal administratif, suite à leur limogeage en 2016 et ce n’est que dernièrement qu’un jugement est intervenu en leur faveur, le Tribunal ayant déclaré nulle et non avenue la décision de révocation prise à leur encontre.

Créée en 2014, après la chute de l’ancien régime sous la présidence de feu Ben Ali, l’IVD était chargée de rendre justice aux victimes des dictatures. Ses premières recommandations étaient que cela ne puisse plus se reproduire afin d’asseoir définitivement la démocratie. Elle a présenté son dernier rapport, dans ce sens, pour « la préservation de la mémoire et la protection du processus judiciaire », selon ce qu’avait déclaré sa présidente, Sihem ben Sedrine. Des chambres spécialisées ont été créées à cet effet dans le but de juger les abus commis entre 1955 et 2013, et « assainir par là même le secteur de la sécurité et de la magistrature et  indemniser les victimes :  « ce n’est pas une faveur ; cela revêt un aspect moral plus que matériel », avait encore soutenu, Ben Sédrine.

L’IVD a décidé d’indemniser un certain nombre de personnes dont la plupart selon certains observateurs appartiennent au mouvement Ennadhdha. Sihem Ben Sédrine avait déclaré en 2021 que : « Le gouvernement a pris la décision de réserver au Fonds de la dignité, qui sera utilisé pour dédommager les victimes, uniquement 10 millions de dinars, une somme ridicule. Le gouvernement a décidé que le reste du financement du Fonds vient des produits de l’arbitrage, qu’il a d’ailleurs bloqués. Mais nous avons quand même réussi à obtenir 745 millions de dinars ». Le pays était à l’époque en pleine pandémie du Covid.

La justice transitionnelle et mainmise sur l’Instance

Le membre limogé de l’Instance vérité et dignité (IVD), Mustapha Baâzaoui a indiqué, que « l’IVD et sa présidente Sihem Ben Sedrine avaient servi les intérêts du mouvement Ennahdha en exploitant le processus de la justice transitionnelle ». Mustapha Baâzaoui avait été élu à la tête de la commission de l’examen de l’emploi et de la réforme des institutions.  Il devait achever une mission particulière, dans le but de limoger une liste de responsables préétablie à l’avance.  Ce qu’il avait refusé sans étudier d’abord les dossiers des personnes qui font partie de cette liste. C’est pour cela dit-il qu’il avait été « écarté » et la commission qu’il présidait n’avait jamais fonctionné. Il a ajouté que « Le mouvement Ennahdha avait une mainmise sur l’instance et sur sa présidente. Ils ont vidé le processus de la justice transitionnelle de son essence et l’ont détourné de son objectif principal ».

En effet, parmi les commissions de l’IVD, il y avait celle qui s’occupait des réconciliations concernant les détournements de fonds et les opérations de corruption, suite au projet de loi dans ce sens à l’époque de l’ancien président de la République feu Béji Caïd Essebsi. C’est ce qu’a expliqué Baâzaoui en ajoutant « qu’il y a eu un marchandage en faveur du parti au pouvoir à l’époque afin d’aboutir à des dédommagements purs et simples pour les membres de ce parti »

C’est pour cette raison que « le rapport de l’IVD doit être retiré du journal officiel, au vu du dernier jugement du Tribunal administratif » a fait encore remarquer Baâzaoui, « Ce jugement atteste que la composition de l’IVD n’était pas au complet ce qui remet en cause la légitimité de ses décisions », a-t-il argué. On se demande, pourquoi le Tribunal administratif a-t-il mis tout ce temps depuis 2016 jusqu’au mois de décembre 2022 pour rendre son jugement. Car, depuis 2016 à nos jours bien de l’eau a coulé sous les ponts !

Baâzaoui a enfin fait remarquer que « ce rapport est accablant pour la Tunisie ». Il a en effet évoqué l’affaire de la banque franco-tunisienne (BFT) dans laquelle  la Tunisie est condamnée à verser  une somme colossale d’argent autour de 3000 milliard de dinars. Dans son rapport, l’IVD a déclaré la Tunisie responsable et qu’elle devait se soumettre au rapport d’arbitrage rendu dans cette affaire.

Le retrait de ce rapport si accablant du journal officiel est -il si facile qu’on ne le pense ? Il faut en tous les cas l’intervention du Président de la République qui peut le faire par décret et ce, en vertu du parallélisme des formes.

En tout état de cause cela est parmi les problèmes qui doivent préoccuper le gouvernement et tous les responsables surtout en cette période où la situation économique du pays est désastreuse.

 

Ahmed NEMLAGHI