Par Slim BEN YOUSSEF

Lorsqu’une contrée, aussi minuscule que la nôtre, donne son antique nom à un continent tout entier, il est difficile –quasi absurde- d’envisager, pour quelque raison que ce soit, que les habitants de cette contrée puissent, un jour, défier (on n’ira pas jusqu’à dire « renier »), d’une manière ou d’une autre, toute attache géographique, historique, ethnique, anthropologique et même affective qui les lient à ce continent. Depuis le temps de l’antique Afriquiya, la Tunisie a toujours été une terre d’accueil. En témoignent les nombreuses cultures et civilisations qui y avaient élu domicile (ou y étaient simplement de passage) à travers les lustres et les décennies, faisant de ce doux et petit pays un véritable berceau de tolérance, d’ouverture d’esprit et de cosmopolitisme –quasi mythiques.

Un doux et petit pays qui a toujours su, à travers son histoire, refuser (pour ne pas dire « renier ») toute forme de fanatisme ethnique, xénophobe ou de quelque nature que ce soit. Une terre d’accueil donc, mais aussi une terre de passage. La « mobilité » étant –faut-il vraiment le rappeler ? – une caractéristique fondamentale du mode de vie séculaire des ancêtres autochtones.

Alors, que diable s’est-il passé pour que la Tunisie de 2023 –celle d’aujourd’hui- se transforme tout d’un coup en une terre « hostile » aux étrangers, où des « mesures urgentes » doivent être prises pour faire face à des « hordes » de migrants clandestins –affreux, sales et méchants- en provenance d’Afrique subsaharienne, et dont la présence est, selon la version officielle, « source de violences, de crimes et d’actes inacceptables » ; façonnant, au passage, les grands titres de la presse internationale ? Des « hordes » qui, selon une théorie –tristement, seraient à l’origine d’une plus grande entreprise « maléfique », visant à arracher, petit à petit, tout ancrage « arabo-musulman » de la Tunisie contemporaine.

Armé sans doute de ses plus belles intentions dans une conjoncture politique et socioéconomique pour le moins que l’on puisse dire « épouvantable », le président Saïed n’y est pass allé de mainmorte. Dans les sciences politiques, on attribuerait parfois cela à un écart qui, selon les règles de ces mêmes sciences, n’est pas certes sans conséquences, mais qui a heureusement la chance d’être « récupérable ». Illico presto et avant que cela ne soit trop tard. Parce que, en politique comme dans la vie, faire parfois machine arrière et rectifier le tir, pour le bien commun, n’a jamais été perçu comme un mal.

Sur le plan social, les craintes d’une dérive de grande envergure sont bel et bien là. Qui plus est, sur le fond de la montée récente d’un discours haineux, raciste et totalement inédit, notamment sur les réseaux sociaux, dont un mystérieux parti politique serait l’origine. Relayé par ailleurs en masse dans la presse internationale, le communiqué se répand comme une traînée de poudre. Mythique terre d’accueil, de tolérance et d’humanisme, c’est l’image de la Tunisie –et de nous les Tunisiens qui se voient désormais entachée. Le « grand remplacement » toucherait, non pas la France, mais « aussi » cette-fois-ci la Tunisie, se délecta entretemps le fanatique Eric Zemmour. « Les pays du Maghreb eux-mêmes commencent à sonner l’alarme face au déferlement migratoire. Ici, c’est la Tunisie qui veut prendre des mesures urgentes pour protéger son peuple. Qu’attendons-nous pour lutter contre le Grand Remplacement ? », a-t-il twitté en partageant la « nouvelle » relayée en masse dans la presse de son pays.

Rien que pour contrarier cette réflexion sordide de Zemmour, « rectifier le tir » s’impose. Mais surtout et essentiellement parce que, la Tunisie, c’est l’Afrique. L’Afrique, c’est la Tunisie. Et parce que nous- autres Africains, sommes acculés à subir ce type de discours haineux sous d’autres cieux. L’a-t-on diable oublié ?!