Par Raouf KHALSI

Le ministère des Affaires étrangères a publié, le 28 février dernier, un communiqué sur sa page Facebook, appelant aimablement les missions diplomatiques en Tunisie à respecter les lois du pays et à ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures tunisiennes. Et le tout charpenté des solennels commandements de la convention de Genève.

On comprend par-là que les autorités tunisiennes soient dérangées par certaines immiscions, surtout en ce contexte de « grandes affaires » tenant à des « complots » contre l’Etat et à la sûreté intérieure du pays.

Phénomène récurrent

Or, ce n’est pas nouveau. Depuis 2011 et, même avant, la Tunisie est perçue par les pays « amis » et les autres pays « frères », au mieux, comme un laboratoire à y inoculer des régimes contre-nature ; au pire, de l’extérieur, le regard est comme celui qu’on porte une bête de cirque.

A une question posée en 2011 à Gordon Gray ancien ambassadeur américain en Tunisie, juste après la chute de Ben Ali et qui consistait à savoir s’il avait des contacts avec Ennahdha, l’ambassadeur n’y est pas allé par quatre chemins : « Oui, nous sommes en contact avec Ennahdha, bien avant le 14 janvier et encore plus aujourd’hui ». Indépendamment de ce que fut le régime Ben Ali, il s’agissait de contacts établis avec un parti interdit. On comprend dès lors que la contribution américaine à l’avènement de ce qu’on appelle « Le printemps arabe » (parti de la Tunisie), avec sa conséquence immédiate : l’islam politique, on comprend donc que cette contribution fut effective.

Dans le même ordre d’idées, en cette décennie de chape de plomb nahdhaouie, il y a quand même à se poser des questions (sinon à établir des évidences) quant aux trajectoires prises, depuis, par la diplomatie tunisienne. Ankara, Doha, Washington, Paris (avec Sarkozy) furent les vrais décideurs autant de notre politique intérieure que de nos affaires étrangères. Le semblant de souveraineté amorcé par Béji Caïd Essebsi s’est lui-même dilué dans des lubies qui le dépassaient à la faveur d’un certain partage (forcé ?) du pouvoir avec la mouvance islamiste.

Le président Saied n’a cessé de parler « souveraineté » et « décision du peuple ». Etait-ce suffisant ? Surtout, avec un ministère des Affaires étrangères, où l’ancien ministre (limogé) Othman Jarandi, réfléchissait deux fois avant de ne rien faire et de laisser l’image de la Tunisie s’éroder à l’étranger, tandis certaines missions diplomatiques accréditées chez nous faisaient preuve de zèle démesuré dans ce qui paraissait être à leurs yeux « une dérive dictatoriale » depuis le 25 juillet.

Remettre de l’ordre dans la maison.

L’appui inconditionnel (jusqu’à une certaine limite ?) vient de l’Algérie de Tabboune. Macron n’est pas en reste, même s’il n’a cessé de rappeler au président qu’il faut rétablir les instances constitutionnelles, moyennant (et c’est là une position officielle) un appui auprès du FMI. Le nouvel ambassadeur américain, celui-là même qui tenait des propos belliqueux devant le Sénat, dès sa nomination à Tunis, s’est ravisé d’apporter de l’eau à son vin tout juste après son arrivée chez nous.

Il y avait seulement à trouver l’horloger qu’on placerait derrière l’horloge détraquée des affaires étrangères. Et ce fut Nabil Ammar.

Diplomate de carrière, contre toute attente, il a été rappelé par Saied pour assumer le 7 février dernier le portefeuille des Affaires étrangères. Cela s’est fait très vite. Depuis Bruxelles où il était ambassadeur pour la Belgique et pour l’Union Européenne, il avait des échos sur ce qui se passait au ministère. Y remettre de l’ordre, secouer les services, démanteler « la clique » inhibitrice de son prédécesseur, cela s’est fait très vite. Mais il fallait aussi s’attaquer à l’international dans sa perception large, mais en fonction des intérêts du pays. Donc, le Sommet d’Addis Abeba, là où il a dû redoubler d’efforts pour dissiper tout malentendu sur les racines profondément africaines de la Tunisie.

Puis, aussitôt, cap sur Genève où il a fait part à Rebecca Gryspan,   secrétaire générale de la  CNUCED des efforts de la Tunisie pour récupérer ses avoirs spoliés dans un cadre fluide et règlementaire permettant de rapatrier ces fonds, parce que des entraves occultes en bloquent le processus.

A Genève encore, il a fait part à Volker Turk , haut-commissaire des Nations Unies de l’obligation des instances internationales à respecter les choix du peuple tunisien et , surtout, sa volonté et sa souveraineté dans ses choix institutionnels.

En fait, la Tunisie a toujours eu de bons ministres des Affaires étrangères, si l’on exclut la décennie noire et l’autarcie frileuse dans laquelle a vécu le régime Ben Ali.

Ce qui est certain, c’est que Nabil Ammar est investi d’une mission consistant à remettre les Affaires étrangères dans leurs constantes. Le repli serait désastreux. Donc, vulgarisation, médiatisation et, surtout, le défi serein du souverainisme. Pas de subterfuges, ni de démagogie. Parce que dans la diplomatie, comme le dit l’adage, le dernier mot de l’astuce, c’est de dire la vérité.