Par Raouf Khalsi

Au lendemain du 14 janvier 2011 et malgré un cataclysme institutionnel au sommet de l’Etat, l’administration tunisienne ne s’est pas laissé influencer. Tout fonctionnait, malgré un sit-in pour le moins abusif Place de la Kasbah. L’administration tunisienne, ses hauts cadres et ses agents sont connus pour être performants quel que soit le contexte. Or, il y a des limites. On ne peut pas lui demander de tenir la même cadence quand, autour d’elle, tout est à la désinstitutionalisation méthodique infléchie par ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui « la décennie noire ». Car, quand l’administration est clochardisée à dessein, pour les besoins d’un clientélisme effronté et lorsqu’elle est tout autant infiltrée, cela se ressent en haut de la pyramide.

Parce que, finalement, la chute de l’Etat-Léviathan de Ben Ali (l’Etat-Léviathan étant une appellation du constitutionnaliste Georges Burdeau), cette chute aura donc permis « la montée » (euphémisme) d’un non-Etat, du fait d’une décapante ploutocratie. Le parlementarisme rongeur et corrosif infléchi par le parti dominant durant cette décennie où tout se vendait et où tout se rachetait, aura tout bonnement anéanti les réquisits du sens même de l’Etat. Au nom de la démocratie, on a anéanti l’Etat. Les affreux croquemitaines sont passés par là…

Aujourd’hui, les Tunisiens formulent ouvertement une « demande d’Etat ». Et, quelque part aussi, un certain protectionnisme si ce n’est la fin de la déréglementation, celle-là même qui a anéanti l’économie nationale et nous a placés dans la situation très peu commode de chercher à arrondir les angles avec le FMI.

Kais Saied cherche à asseoir de nouvelles bases pour un Etat capable de rétablir tous les équilibres socioéconomiques : c’est à son honneur. Et c’est aussi son rôle. Sauf que la reconstruction de cet Etat se heurte encore à des obstacles invisibles sur un chemin miné.

Et c’est là que doit émerger de nouveau la force d’interposition d’une administration aujourd’hui décriée parce qu’on l’a amputée de ses mécanismes au point de lui faire perdre sa traditionnelle capacité de résilience.

Une administration citoyenne et performante renvoie à un Etat fort. Pas l’Etat-Léviathan, et pas non plus l’Etat-oppresseur. Ce n’est d’ailleurs pas dans la trajectoire conceptuelle de Kais Saied. Comme disait Paul Valery, « …si l’Etat est faible, nous périssons. ».