Après la condamnation du journaliste Khalifa Guesmi à 5 ans de prison par la cour d’appel, les réactions, diffèrent, entre ceux qui estiment que » cette condamnation porte atteinte à la liberté de presse et ceux qui, bien qu’à leurs yeux le condamné ait enfreint la loi antiterroriste, trouvent cette condamnation excessive. Surtout que ledit journaliste a été condamné en première instance à un an de prison. Ce qui veut dire que sa peine a été aggravée en appel. Cela est dû au fait que concomitamment avec le prévenu, le procureur a également interjeté appel, en trouvant que la peine était minime.

C’est ce qui est juridiquement désigné par « appel à minima ». Tandis qu’actuellement il y a ceux qui trouvent que la peine de 5 ans est démesurée par rapport aux faits. Mais abstraction faite du quantum de la peine, sur le fond les avis sont partagés quant à l’attitude du journaliste qui s’est résolu à ne pas dévoiler ses sources. A-t-il le droit de le faire en tant que journaliste ?  Surtout qu’il s’agit de surcroit d’une affaire de terrorisme.

De quoi s’agit -il au juste ?

Khalifa Guesmi, le journaliste concerné est correspondant de radio Mosaïque FM à Kairouan. Il avait publié un article concernant le démantèlement d’une cellule terroriste. D’où son accusation   d’avoir divulgué des informations, en violation des dispositions de la loi antiterroriste et du Code pénal.  En effet , alors que le syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) ainsi que des organisations de la société civile dont la Ligue tunisienne des droits de l’Homme(LTDH)  ont dénoncé «  la plus lourde peine jamais infligée à un journaliste dans le pays, estimant qu’il s’agit d’une manœuvre visant à sanctionner la presse et à faire plier les journalistes en usant de l’appareil judiciaire » .Ils  condamnent « une décision injuste qui s’inscrit dans le cadre d’une politique de restriction de la liberté de la presse et d’opinion, et alerte sur la gravité de la violation par la justice du texte de la constitution et des pactes internationaux signés par l’État tunisien ». Le parquet estime que la gravité de l’attitude dudit journaliste réside dans le fait de sa part «   d’avoir refusé d’indiquer les sources de son information. D’autant plus que l’affaire est en lien avec des faits terroristes. Ce qui ne saurait se justifier par la liberté de la presse, car ces informations risquent de mettre en danger la sécurité des citoyens ». D’ailleurs lors d’une conférence de presse en mars 2022, le colonel major Jebali, à la caserne de l’Aouina a évoqué une affaire terroriste « en lien avec l’arrestation du journaliste concerné » et dans laquelle, 30 suspects ont été arrêtés et dont 17 ont fait l’objet de mandats de dépôt de la part du juge d’instruction près le Pôle judiciaire antiterroriste.  Et de préciser que « si cette affaire n’avait pas été dévoilée via des sites internet, d’autres terroristes auraient pu être arrêtés ». Ce qui sous-entend que le journaliste en question, en parlant préalablement de cette affaire, aurait permis à certains terroristes en lien avec cette affaire de s’échapper.

Par ailleurs ces mêmes organisations ont également tenu à souligner que « la source sécuritaire, impliquée dans la même affaire, a été incriminée et condamnée à dix ans de prison pour la même accusation au sens de l’article 62 de la loi antiterroriste, une condamnation qui pourrait décourager les sources officielles à donner des déclarations dans leurs domaines de compétences particulièrement quand il s’agit d’affaires liées au terrorisme ou au blanchiment d’argent ». Or certains autres observateurs estiment que ce sécuritaire, lié par l’obligation de réserve n’avait pas à divulguer à qui que ce soit des détails de nature à entraver le secret de l’enquête », en ne manquant pas de faire remarquer également que « la peine de 10 ans prononcée à l’encontre du sécuritaire est également excessive ». Ce que n’avaient pas évoqué les organisations de défense des droits de l’Homme comme ils l’avaient fait remarquer par rapport au journaliste.

 Le décret 116 reste à parfaire par une nouvelle loi

En tout état de cause, et si les avis sont partagés, on ne saurait négliger le fait que le fléau de fake news et de certaines informations ciblées nuit aussi bien à l’intérêt qu’à la sécurité du pays, Ce qui risque de porter atteinte à l’image de la presse et par là-même à sa liberté.  Toujours est-il que, maintenant que le parlement est fonctionnel, il est souhaitable qu’il légifère entre autres par une nouvelle loi sur la presse, en vue de parfaire le décret 116, en prenant en considération tous les nouveaux éléments qui sont entrés en ligne de compte depuis 2010, tels que et les informations découlant des tiraillements politiques et qui sont de nature à discréditer certaines personnalités atteindre à leur dignité et à leur intégrité ou à déformer certaines vérités. Cela dit il est nécessaire également qu’une nouvelle préserve davantage la liberté de la presse, par un texte clair où des limites seront expressément dressées et qui n’inciteraient à aucune interprétation possible, à savoir l’atteinte à la dignité et à l’intégrité personnelle d’autrui, par la diffusion de fake news. Certes la liberté de la presse garantit la possibilité d’enquêter librement et d’informer les citoyens sur les sujets de leur choix. Cependant, si les médias sont libres de diffuser des avis différents, de commenter, de débattre et de critiquer, il n’en reste pas moyen qu’ils restent toujours liés par la crédibilité de leurs sources. Ils ne doivent pas de surcroît être animés d’une volonté de semer le trouble ou de soutenir inconditionnellement une partie au détriment de l’autre. Ce qui pourrait mener à des poursuites pénales par la partie qui s’estimerait lésée.

En attendant, le journaliste Khalifa Guesmi qui est encore en état de liberté a annoncé, « qu’il reste, pour le moment, en liberté, en attendant l’audience et le verdict de la cour de cassation ». Le pourvoi en cassation ne suspend pas l’exécution du jugement. Cependant comme l’ont déclaré ses avocats ils vont solliciter la suspension d’exécution auprès du président de la cour, d’autant plus que le jugement n’est pas avec exécution immédiate.

Ahmed NEMLAGHI