La loi de 2017 relative à l’élimination de la violence à l’encontre de la femme, nécessite-t-elle une révision, dans la situation actuelle avec la recrudescence des formes d’agression ? Si du côté du ministère de la Femme, une commission sectorielle est chargée de préparer un projet de révision de ladite loi, au cours d’une série de travaux programmée pour les 13, 23 et 26 juin 2023, certaines associations féministes ont, dans un communiqué du 13 juin 2023, fait part de leur étonnement, en estimant que « la révision de ladite loi est inopportune et prématurée à l’heure actuelle ».

Elles arguent pour cela qu’elle n’a pas déployé tout son potentiel protecteur des femmes, ni son efficacité juridique du fait des carences d’exécution et des résistances patriarcales et de genre, ajoutant que « l’Etat ne prend pas suffisamment en charge les femmes victimes de violence et les enfants qui résident avec elles » en vertu de l’article 4 et les explications étayées dans l’article 13 de ladite loi. En outre, ces associations estiment que le ministère devrait agir par plus de décrets d’application afin d’expliciter les dispositifs de cette loi, ses modalités, les droits et les obligations qu’elle fait naitre au profit des victimes, plutôt que de penser déjà à sa révision.  » Réviser la loi dans les conditions actuelles de déficit d’application c’est nécessairement procéder à son changement à la baisse », ont fait remarquer ces associations.

Différents intervenants à travers les secteurs de l’Etat

Selon un rapport élaboré en 2019, sur l’application de la loi organique n°2017-58 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, par l’observatoire national de lutte contre la violence à l’égard des femmes, une approche axée sur les droits humains a été adoptée étant donné que « la violence à l’égard des femmes constitue une violation de ses droits et compte tenu du fait également que la violence contre les femmes constitue une forme de discrimination fondée sur le genre. L’approche adoptée repose à son tour sur une stratégie à trois principes essentiels : la globalité, la diversité et la complémentarité ». Il est noté dans ce rapport  que « la loi n’a pas opté pour une politique de lutte contre la violence étroite basée seulement sur la répression, mais plutôt pour une politique globale, complémentaire et inclusive fondée sur quatre piliers, à savoir la prévention de la violence, la protection des victimes, leurs prise en charge et la poursuite et la punition des agresseurs ».Toutefois dans ce même rapport sont mises en exergue les obligations de l’Etat en matière de lutte contre la violence à l’encontre des femmes. D’où la nécessité de la mise en place de politiques nationales, de plans stratégiques et de programmes conjoints ou sectoriels dans ce domaine. Il y a eu depuis cette loi différents intervenants à travers les secteurs de l’Etat tels que celui de l’éducation, l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, la justice, la culture, les affaires sociales, afin de déployer davantage de moyens nécessaires à éradiquer la violence à l’encontre des femmes. Et ce, avec l’élaboration de programmes éducatifs et culturels, et la formation de spécialistes tels que des psychologues, des psychiatres, des juristes et des experts afin de prévenir d’une part les cas de violence et venir au secours des victimes, par leur prise en charge et leur assurer un suivi psychique et matériel. Ce qui est prévu par ladite loi dans ses dispositions qui obligent le ministère de la Justice et le ministère de l’Intérieur de développer des programmes complémentaires sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes dans le secteur de l’enseignement et de la formation dans les institutions sous leur tutelle. Ces ministères sont tenus de prendre les mesures nécessaires et fournir les services et les structures en vue de mettre en place des méthodes de traitement des plaintes et des affaires portant sur la violence à l’encontre des femmes. Le ministère de la Justice est tenu notamment d’élaborer un guide de la procédure de plainte auprès du tribunal, pour les femmes victimes de violences.

 La femme, de plus en plus confrontée à des violences

Toutefois la femme est de plus en plus confrontée à des violences d’ordre physique et psychique. Selon une enquête du ministère de la femme, 47% des femmes ont été victimes de violences domestiques au cours de leur vie. Cela outre les violences physiques qui débouchent souvent sur des drames. Plusieurs femmes ont été tuées par leurs époux. Sans compter les harcèlements et les abus sexuels. Cette loi, qui a créé des unités chargées de traiter les plaintes pour violence domestique au sein des Forces de sécurité intérieures tunisiennes, leur a accordé le droit d’imposer des « ordonnances de protection », en ordonnant par exemple à un auteur présumé de violences de quitter le domicile, de rester à distance de la victime et des enfants, ou de s’abstenir de contacter la victime. Le juge chargé de ces affaires est également habilité à émettre des « ordonnances de protection » pour éviter tout préjudice supplémentaire à la victime. Les juges les juges ont également bénéficié d’une formation sur l’application de la loi de 2017 en ce qui concerne la nécessité de prononcer des décisions de protection en faveur des femmes victimes de violence, de leur droit à jouir obligatoirement de l’assistance judiciaire et des différentes dispositions régissant les procédures relatives au droit judiciaire ainsi que les services disponibles.

La loi actuelle « un acquis historique »

Est-il opportun de procéder à une révision de cette loi alors que des dispositions ont été prises par le ministère de la Femme pour son application ? Pour les associations féministes, cette loi exige encore du temps pour sa mise en application de manière complète. Yousra Fraws, présidente de l’Association des femmes démocrates (AFM) a déclaré que : « Cette loi constitue pour les défenseurs des droits des femmes un acquis historique. En effet, son adoption vient couronner trois décennies de lutte acharnée contre les violences sexistes. La Tunisie devient par conséquent le premier État de la région arabe à se doter d’une loi intégrale pour l’élimination des violences faites aux femmes. Elle définit la violence comme étant une discrimination fondée sur le sexe et comme une violation des droits humains des femmes. Elle reconnaît aux femmes ayant subi des violences, ainsi qu’aux enfants l’accompagnant, le statut de victime. Cette définition reprend largement les éléments de la violence du genre telles que celles avancés par les mécanismes internationaux des droits des femmes ». Des associations féministes ont dans leur communiqué « déploré le caractère expéditif du projet de révision de la loi organique 2017-58 qu’aucune sérieuse et probante évaluation n’est venue corroborer ou même suggérer ». Il fallait plutôt « améliorer le cadre d’application et d’implémentation de la loi et non sa révision ».

Le ministère de la femme, pour sa part, estime qu’une révision de cette s’impose, face à la recrudescence des violences et la multiplication des féminicides pendant ces dernières années. Peut-être cette révision viendrait-elle renforcer les moyens destinés à protéger la femme de la violence d’une manière générale.

Quoi qu’il en soit, et au stade actuel où en est la violence et les féminicides, une nouvelle loi, ne pourrait être efficace sans impliquer toutes les forces vives de la société civile et tous les secteurs de l’Etat, afin de mettre en œuvre une stratégie commune destinée à protéger la femme de toute agression et de tout acte de violence. Sans cela toute autre alternative serait inefficace.

 

Ahmed NEMLAGHI