Les PME, ce cœur battant de l’économie représentant 95% du tissu économique ne vont pas très bien. Plusieurs entités sont en difficulté et sont menacées de faillite. Aujourd’hui et selon Abderrazek Houas, président de l’Association tunisienne des PME, on compte 200 mille PME en difficulté. 140000 entités ont fermé boutique générant plus de 100000 chômeurs. La crise sanitaire et la guerre entre l’Ukraine et la Russie ont jeté un pavé dans la mare. En dehors de la conjoncture internationale, quels sont les maux des chefs d’entreprises ? Taieb Souissi, président de l’Association tunisienne de défense et de sauvegarde de l’entreprise (ATDSE) et Chef d’entreprise nous parle des maux qui jalonnent la survie des entreprises tunisiennes.

 Interview réalisée par Yosr GUERFEL AKKARI

Au vu des transmutations nationales et internationales, de quoi souffrent, aujourd’hui, les PME tunisiennes ?

L’entreprise tunisienne fait face aujourd’hui à une jonction de problèmes. La concurrence déloyale et l’économie informelle arrivent en tête des entraves. Personnellement je parle de « système C » : le Clanisme, le Copinage, Concussion, Corporatisme, Conflits d’intérêts, Clientélisme, Contrebande, Cupidité et la reine de ce système à savoir la Corruption. La corruption s’est démocratisée en Tunisie. En somme, l’environnement de l’entreprise est envenimé par ce que j’appellerai la ploutocratie. Sans parler des problèmes conjoncturels dont la crise sanitaire, la guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’inflation, les circuits informels et l’importation sauvage. Savez-vous que selon les statistiques plus de 1900  unités de production ont fermé leur porte dont principalement les entreprises opérant dans le textile-habillement. La crise sanitaire a engendré l’arrêt d’activité de 160000 unités et la mise en chômage technique de 600000 emplois.

Par ailleurs, selon une étude réalisée par Hernando de Soto, un économiste libéral péruvien, sur l’économie informelle en Tunisie : Comment y remédier ? En 2012, 85% des entreprises opèrent dans le cadre de l’économie informelle. 524.000 entreprises sur un total de 616.000 sont extralégales.

Les difficultés financières sont pourtant placées comme principale entrave à la poursuite d’activité ?

60% des entreprises ont des problèmes avec les banques. Il faut savoir que la pérennité de l’entreprise ne dépasse pas les 18 mois en Tunisie. La réticence bancaire, la revendication sociale et le manque de sécurité juridique sont les principaux freins à tout redémarrage. Les banques tunisiennes ont failli aujourd’hui à leur principal rôle de financement de l’entreprise pour financer le budget de l’Etat. Et puis le système de classement des banques auprès de la BCT, réduit l’accès des entreprises en difficulté au financement bancaire et plonge l’entreprise dans les difficultés financières interminables.

Qu’en-est il alors de la loi 95 sur le redressement des entreprises e difficulté et qui a été amendé en 2016 ?

Le régime de redressement tend essentiellement à aider les entreprises qui connaissent des difficultés économiques à poursuivre leur activité, à y maintenir les emplois et à payer leurs dettes.  Une loi qui été amendé par la loi n° 2016-36 du 29 avril 2016, relative aux procédures collectives. Selon certains avocats cette loi tend plutôt à accélérer la faillite de l’entreprise. D’après mon expérience personnelle, pour connaitre le vrai visage de la Tunisie il faut aller voir dans les tribunaux et les hôpitaux. J’ai un dossier qui traine dans les tribunaux depuis plus de 20 ans. D’où l’importance de la sécurité juridique dans la pérennisation de l’entreprise. Pourquoi ne pas créer des tribunaux commerciaux spécialisés dans les litiges économiques.

Les choses n’ont pas changé après la Révolution ?

Non malheureusement, les choses ont empiré. La corruption bat son plein et le système de rente continue de prendre le dessus. Si tu ne fais pas partie des rentiers du système tu es foutu. Sous le régime du déposte j’ai perdu mon projet parce que je ne faisais pas partie de cette grande famille des rentiers. D’après mon expérience de 45 ans de chef d’entreprise, il me semble que dans ce pays on punit les bonnes intentions. Si tu ne fais pas partie du Cartel, tu es écarté. Patrice Bergamini, ex-ambassadeur de l’Union Européenne en Tunisie a évoqué à l’époque l’influence négative exercée par certains groupes familiaux sur la transition de l’économie nationale. Sous d’autres cieux notamment au Québec et au Singapour, l’initiative privée est libre,   mais la clé de la maison est entre les mains de l’Etat. Chez nous c’est exactement le contraire. Que font les patronats pour défendre l’entreprise ? Rien on a l’impression qu’on défend plutôt leurs lobbies. Le libéralisme sauvage,  l’absence de l’Etat et des lois taillées sur mesure favorisant l’économie de rente.

Chanter l’hymne national n’est pas synonyme de patriotisme, il faut de l’action pour défendre notre souveraineté économique et par ricochet la souveraineté nationale. Il ne faut pas perdre à l’esprit que l’économie est le pain du Tunisien.

Selon vous que faut-il faire aujourd’hui pour sauver les entreprises en difficulté ?

La Tunisie est à refaire. Il faut inculquer la culture d’éducation économique et diffuser la culture de biens collectifs.  Je m’inspire toujours de la réussite du Singapour et des études comparées pour donner le plan de secours. Les « 5 E » de la croissance sont : un Etat performant et efficace, une Education économique, l’Entreprise, l’Epargne et l’Exportation. Les pays qui disposent de ces 5 E qui réussissent à créer de la  richesse et à générer de la croissance sans être obligée  de faire de l’aumône. Ainsi les 10 clés de réussite sont :    l’amplification des atouts stratégiques, l’hyper pragmatisme et ouverture de l’esprit, avoir un plan de développement, la rationalité économique, l’efficacité opérationnelle,   la recherche le développement et l’éducation, la stabilité politique, la prudence, l’agilité et l’agressivité de l’action et last but not least les valeurs fondamentales. Entre autres, les valeurs éthiques et le sens de partage.  Il va falloir ancrer le « Nous » et pas le  « Je », la culture de biens collectifs et d’intérêt national.  Il faut changer de mentalité,  arrêter avec  l’égocentrisme, le narcissisme et le déni. Citoyenneté et confiance sont deux ingrédients essentiels. La méfiance est un impôt social alors que la confiance est un dividende social.

En chiffre

  • 200 mille PME en difficulté. 140000 entités ont fermé boutique générant plus de 100000 chômeurs
  • Plus de 1900 unités de production ont fermé leur porte sur fond Covid. La majorité opère dans le textile-habillement
  • La crise sanitaire a engendré l’arrêt d’activité de 160000 unités et la mise en chômage technique de 600000 emplois
  • Selon une étude réalisée par Hernando de Soto, un économiste libéral péruvien, sur l’économie informelle en Tunisie : Comment y remédier ? En 2012, 85% des entreprises opèrent dans le cadre de l’économie informelle. 524.000 entreprises sur un total de 616.000 sont extralégales.
  • 60% des entreprises ont des problèmes avec les banques. Il faut savoir que la pérennité de l’entreprise ne dépasse pas les 18 mois en Tunisie.