La plaisance est un éternel vieux-nouveau produit : vieux au vu : âge, nouveau au vu : performances. Tous les produits nouveaux comme le golf, la thalasso ont évolué, sauf la plaisance qui est un produit à part entière drainant une clientèle de luxe et des recettes en devises considérables, étant donné qu’un plaisancier étranger dépense 20 fois plus qu’un touriste balnéaire. Mais, malheureusement, ce secteur constitue, aujourd’hui, le parent pauvre du tourisme tunisien et il est plus que jamais temps de le développer à travers une stratégie impliquant tous les professionnels comme l’explique Anis Zormati, Président de la chambre nationale syndicale des gestionnaires des ports de plaisance et directeur général de Marina Hammamet Sud

 Le développement de la plaisance se justifie par la multitude de ses apports. En effet, les ports de plaisance sont considérés comme étant une attraction touristique : lieu de promenades, de consommation (hôtels, restaurants), d’évènements, d’animation, et cela aussi bien pour la population touristique que locale. C’est un point d’entrée pour les touristes : avec les amarrages de passage et la fourniture de services associés  (réparation,  nettoyage,…). C’est une plate-forme pour les professionnels du tourisme et du loisir : locations de voiliers,  plongée,  ski  nautique,  visites  par  bateau… C’est un outil d’urbanisation et d’aménagement du paysage par son impact sur la vie d’une cité et sur le paysage.

L’apport touristique de la plaisance, soit il direct à travers l’entrée de touristes, indirect par des activités touristiques associées, ou induit par les aménagements, est donc notable. Le défi est donc de profiter du potentiel de développement et surtout de maximiser les retombées économiques associées à ce produit.

La mise en valeur de la plaisance doit s’inscrire dans une vision élargie en termes de développement et devra viser les plaisanciers en escale, qui vont passer une ou plusieurs nuits dans le port,  les  touristes  qui vont profiter des attractions et des produits touristiques proposés par le port et la population locale  qui peut soit utiliser les infrastructures pour la plaisance, soit profiter des attractions associées. La Tunisie est pourvue de solides atouts à faire valoir en termes de tourisme de plaisance à la fois géographiques (littoral étendu, situation centrale dans le bassin méditerranéen, distante d’à peine 100 à 400 miles des principaux ports de la rive nord et placée au cœur des flux de populations et des échanges entre les civilisations du monde entier), climatiques (ensoleillement près de 300  jours par an, période de navigabilité plus longue de 3 mois par rapport à la rive nord, coups  de vent  4 fois moins nombreux, température moyenne supérieure à 18°), culturelles (un héritage culturel particulièrement riche de vestiges de civilisations anciennes), économiques (avantages fiscaux, faible coût de la main d’œuvre, amélioration du niveau de vie)

Par ailleurs, les opportunités sont réelles en vue d’un développement de la plaisance en Tunisie tels que la saturation des ports de plaisance dans le bassin Méditerranéen (France, Espagne, Italie..). Selon une étude réalisée par le CODCAP (Comité pour le développement des capacités d’accueil de la plaisance) il manquerait en France plus de 54.000 places et certains ports présentent des listes d’attentes pouvant atteindre 10 ans et plus.

La forte sensibilité au respect de l’environnement et manque de disponibilité foncière, au  nord de la Méditerranée, rendent délicat et complexe tout projet concernant la construction, l’extension ou la modernisation des ports de plaisance. La hausse excessive des prix d’accostage et les taxations diverses pratiquées dans les pays du nord de la Méditerranée pousse les plaisanciers à accoster dans les ports de la rive Sud. Le taux  de  change  actuel  est avantageux  pour  la  destination  ainsi  que  la disponibilité de services  spécialisés  (entretien,  réparation)  en  nautisme  pour attirer davantage de clientèles.

 Pour un allègement des procédures administratives !

Malgré les atouts et opportunités, favorables au développement de la plaisance, la position concurrentielle de la Tunisie souffre d’un retard évident en termes de rayonnement et n’arrive pas à s’imposer aujourd’hui comme une destination nautique méditerranéenne. Aucune priorité spécifique n’est articulée actuellement pour le nautisme en tant que produit touristique et absence d’une stratégie de développement spécifique. Le financement étatique des activités nautiques est presque absent. La réglementation est  souvent contraignante pour le développement d’une demande locale (enquête policière préalable à l’achat d’un navire, procédures studieuses) sans oublier l’absence  d’avantages aux Tunisiens  au niveau de la taxation  pour les encourager à acquérir des bateaux de plaisance. La législation est contraignante. Les procédures sont  lourdes, longues et compliquées. Ces lourdeurs entravent les démarches à l’entrée et à la sortie du territoire, voire le déplacement d’un port à l’autre à l’intérieur de la Tunisie. Les plaisanciers désirant faire une balade n’ont le droit de sortir en mer qu’au lever du jour  et rentrer avant coucher du soleil. Aussi ils doivent se déplacer au poste de la garde nationale maritime avant 24h de la balade pour déclarer la balade et les occupants du bateau. Il faudrait enlever cette nouvelle procédure ou bien la digitaliser.

La plaisance se heurte aussi à une absence d’harmonisation des textes règlementaires et législatifs régissant la pratique de l’activité en Tunisie avec les normes internationales, et en tenant compte de ceux des pays concurrents (charters). Les textes d’application du Code des ports, entré en vigueur depuis le mois de juillet 2011 ne sont pas encore publiés. La plaisance  n’est pas considérée comme un secteur potentiel, pourvoyeur d’emplois à valeur ajoutée d’où l’absence d’un système de formation professionnelle des métiers de la plaisance. Le secteur ne dispose pas d’une fédération réunissant les acteurs de plaisance privés et publics,  censée créer  des liens  de  coopération  et  de  concertation  entre  les  différents intervenants et qui  pourra  impulser une vision d’avenir, une dynamique fondée sur une approche privilégiant la mutualisation des moyens et la concertation en vue de positionner les ports de plaisance comme éléments stratégiques  de  développement  régional  et destination  d’excellence nautique reconnue dans le bassin méditerranéen. Les faibles niveaux de tarification dans les ports affectent la rentabilité globale du secteur et handicapent les efforts de renouvellement des installations.

Une offre très limitée

La capacité limitée des places d’amarrage représente un frein majeur au développement de la clientèle touristique. Offre  peu diversifiée  en matière de nautisme : 7 ports de plaisance totalisant une capacité de 3130 anneaux dont Port Yasmine Hammamet, Marina bizerte cap 3000, Marina Gammarth,, Port sidi Bou Saïd, Port el Kantaoui, Marina Monastir et Marina Djerba Houmet Essouk. 2149 bateaux ont accosté en 2022 dont 1262 tunisiens et 88 étrangers. Le taux d’occupation était de l’ordre 69%. L’animation nautique est presque absente pour attirer  en Tunisie  la  clientèle  de plaisance. Il n’y a pas d’évènements et de compétitions qui donneront de la visibilité à la plaisance au niveau local et aideront à l’émergence d’un marché domestique. Le produit est peu diversifié avec absence l’itinérance mer /de port en port/ villes, aménagement d’escales thématiques).

Le marketing et la communication pour promouvoir ce créneau sont embryonnaires. La participation est de plus en plus réduite aux salons professionnels. Ceci sans oublier le manque d’outils de communication d’appel,  d’outils d’accueil et d’information en langue anglaise ainsi que des services de planification de voyages spécifiques pour les plaisanciers et de prospection sur les marchés étrangers et de partenariats. Des lacunes subsistent en matière d’information sur les structures d’accueil (prix, modalités de réservations, etc.) que ce soit par le biais d’un guide ou sur le réseau Internet et ce en l’absence de regroupement de marinas. Peu de marinas offrent des programmes de formation à leur personnel outre ceux qui concernent les normes de prévention pour l’ensemble des opérations (essence, quais, etc.). On aborde très peu les questions touchant au service à la clientèle, à l’information et au marketing touristique.

Le développement de la plaisance se heurte à la résistance de la population en général face au développement d’infrastructures nautiques (perception de sport pour riches, pollution); ce qui n’aide pas à influencer les décideurs à appuyer des projets de développement nautique. La demande au niveau national   demeure faible, voire inexistante. En Tunisie le ratio d’équipement qui s’élève à 0,25 bateau pour 1.000 habitants est l’un des plus faibles de la région méditerranéenne (entre 5 et 8 pour 1.000 en France et en Espagne). La clientèle « plaisancier étranger » est insignifiante. En 2013, le schéma de développement du littoral tunisien  constate que sur un total de 270.000 bateaux de plaisance qui sillonnent la mer, la Tunisie n’en accueille que 1% soit l’équivalent de 1.292 bateaux par an. Ceci sans oublier le manque d’intégration des activités nautiques, et plus particulièrement de la plaisance, à la culture et loisirs de la population locale.

Evénements nautiques et réseautage

Bien que la Tunisie présente des forces évidentes comme destination nautique, il faudra minimiser les effets des faiblesses et des menaces qui  conditionnent  grandement  son  rayonnement  dans  les différents marchés visées. Les principaux enjeux qui doivent interpeller l’ensemble des acteurs dans le secteur se résument comme suit : la mise en place d’une stratégie de développement spécifique à la plaisance, la publication des textes d’application du Code des ports, entré en vigueur depuis le mois de juillet 2011 tout en associant les professionnels à l’établissement des textes d’application, l’harmonisation des textes règlementaires et législatifs régissant la pratique de l’activité de la plaisance en Tunisie avec les normes internationales en tenant compte de ceux des pays concurrents (Procédure d’entrée et de sortie du territoire, navigation dans les eaux territoriales, activité du charter, procédures douanière), l’assouplissement de la réglementation pour le développement d’une demande locale (raccourcissement des délais nécessaires pour l’acquisition d’un navire), l’instauration d’avantages, au niveau de la taxation, aux Tunisiens pour les encourager à acquérir des bateaux de plaisance et la mise en place d’un système de formation professionnelle des métiers de la plaisance.

En matière d’organisation, il faudrait créer une organisation fédératrice des acteurs privés et publics de la plaisance qui servira à développer des liens de coopération et de travail entre les ports adhérents et les partenaires associés, améliorer la mise en réseau, l’information et la communication entre les cités portuaires, mutualiser les moyens et les énergies, prendre toutes les initiatives et réaliser toutes les actions visant la création, la promotion et le développement du secteur de la plaisance en Tunisie, représenter les ports adhérents auprès des organismes et administrations, développer toutes actions collectives à forte valeur ajoutée, miser sur une présence plus active des acteurs du tourisme nautique au sein de l’industrie touristique et mettre en place un réseautage entre les marinas de façon à intensifier les synergies en termes d’accueil et de promotion.

 Pour développer l’offre, il faudrait pérenniser les infrastructures portuaires existantes et accroître la  capacité  d’accueil  offerte  aux  visiteurs  dans  une optique de renforcement  des  pôles  de  destination  et  de  masse  critique  de marinas. Le manque de places à quai est handicapant et conditionne les efforts de promotion. Il faudrait aussi intégrer le développement du nautisme dans une optique où ce produit respecte l’environnement et s’insère harmonieusement dans les  communautés et ce, dans une vision intégrée du tourisme durable et responsable, capitaliser sur l’attractivité du spectacle nautique auprès des clientèles terrestres pour maximiser l’achalandage, diversifier les produits et les services et accroître les retombées économiques d’ensemble et développer des produits et des services innovateurs permettant de rejoindre de nouvelles clientèles (initiation à la pratique, location d’embarcations, développement de bateaux de type charters, etc.).

 En  matière de promotion, un positionnement distinctif est à développer dans le cadre d’une approche de contrôle de l’image de marque et du produit. Actuellement, on remarque l’absence de destinations fortes axées spécifiquement au nautisme et l’absence  d’événements nautiques internationaux pour attirer  en Tunisie les clientèles de plaisanciers. Il faudrait fournir des produits d’appels forts, prospecter les marchés étrangers, développer des partenariats, être plus présent aux salons professionnels, avoir plus de visibilité sur le réseau internet et ce pour faire en sorte que la Tunisie soit une destination nautique prisée mais aussi fidéliser  les  clientèles actuelles et les inciter à visiter les différents port de plaisance de manière à diversifier l’intérêt des clientèles et maximiser le potentiel d’attraction des activités nautiques  pour  les  clientèles terrestres,  tant au  niveau des lieux de destination comme tels, que de la planification d’événements nautiques, de compétitions ou de spectacles.

Kamel BOUAOUINA

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    Bonjour,

    Excellent article ; cependant je ne comprends pas pourquoi avant de se lancer dans des reflexions de haut niveau pourquoi les autorités portuaires ne cherchent pas une solution au problème majeur qui contribue à la fuite des navires étrangers hors de la Tunisie depuis 2014 bien au delà des tracasseries liées à l'obligation de produire un manifeste 24 H à l'avance même si cela n'arrange rien.

    je suis prêt à en débattre sur WhatsApp si cela peut vous interesser

    Bien cordialement