Assisterait-on à la fin de la friture sur la ligne diplomatique entre Tunis et Tripoli ? Les multiples fâcheries enregistrées ces derniers mois entre les deux pays voisins semblent en passe de s’achever. C’est du moins ce qu’il faut lire entre les lignes des récentes visites effectuées par des ministres libyens en Tunisie. La plus récente visite d’un haut responsable libyen à Tunis remonte au vendredi 11 août. Il s’agit de celle du  ministre libyen de l’Économie et du Commerce du gouvernement d’union nationale, Mohamed Ali Houej, qui a eu droit à une entrevue avec le Chef du gouvernement,  Ahmed Hachani, en présence du ministre de l’Économie, Samir Saïed, de la ministre du Commerce Kalthoum Ben Rejeb, du président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), Samir Majoul, et du président de l’Union générale libyenne des chambres de commerce, de l’industrie et de l’agriculture,  Mohamed Al-Raied.

A l’issue de cette rencontre, le locataire de la Kasbah s’est dit « satisfait de la dynamique que connaissent les relations bilatérales entre la Tunisie et la Libye », soulignant l’importance de renforcer les consultations entre les hauts responsables des deux pays et d’accélérer la réunion des comités sectoriels en vue de la tenue de la réunion de la haute commission mixte au cours de la période à venir.

Le ministre libyen de l’Economie et du Commerce a, de son côté, mis l’accent sur l’importance de soutenir la coopération économique, l’investissement et les échanges commerciaux afin de mettre en pratique les protocoles d’accord signés entre les deux pays, faisant état de la disposition de la partie libyenne à tenir la réunion de la Haute commission mixte à Tripoli.

Les deux pays ont d’autre part annoncé la création d’un « corridor commercial tuniso-libyen vers les pays d’Afrique subsaharienne », et se sont engagés à porter le volume des échanges commerciaux bilatéraux à 5 milliards de dinars tunisiens par an durant les prochaines années contre 3 milliards de dinars en 2022.

Solution « consensuelle »

La visite du ministre libyen de l’Économie et du Commerce du gouvernement d’union nationale basé à Tripoli (un gouvernement rival est installé à Toubrouk, dans l’Ouest de la Libye, Ndlr) intervient deux jours seulement après celle de son collègue chargé de l’Intérieur, Imad Mustapha Trabelsi. Ce dernier a été reçu mercredi 9 août à Tunis par son homologue tunisien, Kamel Féki, dans le cadre d’une séance de travail consacrée à l’examen d’un certain nombre de dossiers communs, dont celui relatif à la lutte contre la migration irrégulière.

Selon un communiqué publié par le gouvernement d’union nationale libyen, cette rencontre a permis de « parvenir à une solution consensuelle pour mettre fin à la crise des migrants africains irréguliers bloqués dans la zone frontalière entre les deux pays ».

Le communiqué n’a pas fourni plus de précision sur cette solution consensuelle.  Il a cependant indiqué que « M. Trabelsi a également discuté avec son homologue tunisien « des moyens d’accélérer les travaux au poste frontalier commun, Ras Jedir, et de faciliter les procédures d’entrée des Libyens sur le territoire tunisien, en plus de résoudre le problème de la similitude des noms des citoyens libyens auprès des autorités tunisiennes », ainsi que du « dossier de la coopération conjointe en matière de sécurité et les moyens de la renforcer ».

Pour sa part, le ministère tunisien de l’Intérieur a déclaré, dans un communiqué rendu public à l’issue de la rencontre que les deux ministres avaient discuté « d’un certain nombre de dossiers sécuritaires communs, notamment la lutte contre la migration irrégulière, les moyens de surmonter les difficultés pour faciliter les services au poste-frontière de Ras Jedir et les défis sécuritaires communs ».

Au cours des discussions, « il a été question de l’importance du dossier des migrants africains en provenance du Sahel (Afrique de l’Ouest) et des pays subsahariens, et ses répercussions sur les deux pays, ainsi que des moyens de limiter leur flux aux frontières », a-t-on ajouté de même source.

Mésententes en cascade

Ce début du réchauffement des relations entre la Libye et la Tunisie intervient après les multiples brouilles survenues entre les deux pays depuis l’arrivée au pouvoir du chef du gouvernement libyen Abdelhamid Dbeibah en mars 2021. Le premier sujet qui avait cristallisé les tensions entre Tunis et Tripoli était celui de quelque 900 millions de dollars de dettes libyennes envers la Tunisie. Ces dettes, dont certaines dataient de la révolution de 2011, n’avaient pas été alors remboursées alors que la Tunisie traversait une grave crise financière.

En janvier 2023, la communication « arrogante »  du gouvernement libyen au sujet de l’arrivée d’un don du  libyen en Tunisie , qui consistait à un convoi de camions transportant des milliers de tonnes de produits aluimentaires comme le sucre, la semoule et l’huile de table, a été considérée comme une « humiliation » à Tunis, alors que la population tunisienne s’était mobilisée pour accueillir des centaines de milliers de réfugiés libyens pendant le conflit qui a suivi la chute du régime de Kadhafi.

En mars dernier, c’était au tour du président Kaïs Saïed de provoquer l’ire des Libyens par des déclarations polémiques autour du champ pétrolier offshore d’Al Bouri.

« Voici le champ pétrolier d’Al-Bouri, dont la Tunisie n’avait obtenu que des miettes… Ce champ pouvait couvrir tous les besoins de la Tunisie et même plus », a aussi souligné le chef de l’État au siège de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap).

Selon le locataire de Carthage, l’accord prévoyait un partage équitable à l’amiable entre les deux pays, sur la foi de la déclaration du ministre des Affaires étrangères libyen de l’époque, Ali Abdessalem Triki. Mais à la suite de la détérioration des relations entre Tunis et Tripoli à partir du milieu des années 1970, « cette proposition avait été rejetée ».

Après une grande controverse, le ministre libyen du Pétrole et du Gaz du gouvernement d’union nationale, Mohamed Aoun, a rappelé que cette affaire « est close depuis une décision de la Cour de justice internationale ».

Plus récemment, c’est la question migratoire qui a enfoncé un coin entre les deux pays, quand des médias d’Etat libyens ont diffusé des reportages faisant état de « déportations massives » présumées par les forces de sécurité tunisiennes de migrants subsahariens vers la Libye. Ces reportages montrant des violences qu’auraient subi des migrants et braquant pleins feux sur l’aide apportée par l’Etat libyens à ces migrants qui « errent dans le désert sous un soleil de plomb » ressemblaient à s’y méprendre à une campagne médiatique visant à ternir l’image de la Tunisie, d’après certains experts.

Walid KHEFIFI