Le mercredi 30 août, l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE) a organisé une table ronde intitulée « Pourquoi les élites arabes vivent-elles dans leur propre monde et ne parviennent-elles pas à sensibiliser leurs peuples ? » Ont participé à cette séance M. Borhene Ghalyoun, professeur de Sociologie politique et conférencier à la Sorbonne, M. Sadok Hammami, professeur universitaire de sciences d’informations et de communications et M. Jihad El Haj Salem, chercheur en sociologie. Le débat a porté sur l’élite dans le monde arabe et en Tunisie qui, soucieux de mettre leurs expériences et leurs idées au service de la société pour la réformer et la moderniser politiquement, économiquement et culturellement, ont échoué en quelque sorte à contribuer au progrès de leur pays et à la création d’une véritable démocratie.

Il semble qu’aujourd’hui, il existe un vide, un décalage ou une rupture entre les élites et le public en Tunisie. Ce sont des « cybermiitants » qui ont remplacé les élites à travers les réseaux sociaux notamment depuis la Révolution. Peu à peu, des facebookers ont vu le jour et sont devenus plus connus à l’échelle nationale que des individus dits « élitistes ». Ceci a mené à un courant populiste qui s’est développé depuis la Révolution parce que les élites se sont reculées peu à peu devant les événements publics. Eux qui prêchaient la démocratie et la liberté dans leurs discours et leurs écrits. Actuellement, les gens regardent aux élites d’une manière passive et négative.

Le rôle des élites

Certains pensent que si, depuis des décennies, la Tunisie a échoué à réaliser l’essor économique et social escompté et à assurer les objectifs de la Révolution (Liberté, égalité et dignité), c’est en grande partie à cause d’une absence quasi-totale de ses élites, ses intellectuels qui sont restés loin de la réalité quotidienne du peuple, vivant ainsi dans leur propre monde sans avoir aucun impact sur la vie publique. A l’écart des attentes du peuple. Or, il va sans dire que le développement des peuples passe par les idées, les projets et les initiatives de leurs élites, qu’elles soient politiques, scientifiques ou culturelles.

En effet, en tout temps, toute société humaine a besoin de son élite ; cet ensemble d’intellectuels, ces hommes de raison et de jugement dont on a besoin en temps de crise politique ou socio-économique. I apparait comme une évidence que nos intellectuels et nos savants doivent participer au débat public et s’unir aux masses des citoyens. Le danger est quand nos intellectuels et nos savants, nos sociologues et nos politiques ne sont plus écoutés ni respectés et qu’ils ne sont plus reconnus comme les élites de la pensée disposant du prestige et du privilège de pouvoir prendre la parole plus haut que tous les autres grâce à leurs qualités, leurs idées et peut-être leurs expériences.

Où sont donc ces Intellectuels tunisiens connus pour leur liberté d’esprit et d’expression et qui ont osé formuler des critiques parfois acerbes plusieurs fois à travers leurs écrits ? Veulent-ils éviter les réactions à vif pour ne pas porter des jugements hâtifs sur la situation ? Serait-ce la peur, l’indifférence, la passivité ou simplement de l’arrogance ? Se considèrent-ils au-dessus de la mêlée ?

Certains pensent que devant la démagogie ambiante, le populisme influent et peut-être à cause de cette boulimie cybernétique de n’importe quel quidam s’exprimant à travers les réseaux sociaux, nos élites se sont retirées et ont préféré plutôt le silence. Peut-être auront-elles besoin de prendre un peu de recul pour pouvoir s’exprimer !

Ce qu’ils en pensent

En général et chez tous les peuples depuis des siècles, le portrait classique qu’on brosse d’une élite, c’est qu’elle doit être ouverte sur la société, capable de la changer réellement, soucieuse de l’intérêt général, représentante d’un exemple à suivre et courageuse au moment des prises de position … Si certains tunisiens trouvent que la présence active de l’élite est nécessaire pour le développement du pays, d’autres pensent au contraire que les élites tunisiennes semblent fermées sur elles-mêmes, résistantes au changement et peu soucieuses de l’intérêt général. D’autres encore pensent qu’on ne peut plus compter sur des élites politiques insensibles aux souffrances des citoyens. En effet, on peut imaginer qu’un jour, à cause de l’absence volontaire ou involontaire de l’élite de la société, la volonté humaine, le goût de la liberté, la soif de justice, le sens de la collectivité, la recherche d’excellence, l’appel de la modernité, toutes ses valeurs et ses idéaux s’estomperont jusqu’à l’effacement total.

Une condition majeure de la respectabilité de l’élite dans une démocratie doit être son caractère renouvelable et ouvert. Pour faire confiance à l’élite, il faut qu’elle ressemble au peuple.  Certes les élites, qu’elles soient politiques, intellectuelles, scientifiques ou culturelles, ont toujours existé par le passé en Tunisie et ont joué un grand rôle dans l’édification d’un Etat moderne et d’une économie nationale, mais d’autres ont contribué à l’installation de la dictature pendant le régime de Ben Ali, d’autres encore, d’obédience religieuse, ont détruit le pays durant la période post-Révolution à cause de leur idées rétrogrades et leur manque d’expérience en matière de pouvoir. Aujourd’hui, on a plus besoin que jamais d’une élite capable d’intervenir en faveur du changement et du progrès pour qu’elle regagne la confiance du peuple.

Hechmi KHALLADI