Alors que la Tunisie subit sa cinquième année consécutive de sécheresse la trentaine de barrages du pays, qui servent à irriguer des plusieurs dizaines de milliers d’hectares de terres agricoles mais aussi à l’approvisionnement des foyers en eau potable, affichent des niveaux de remplissage alarmants.

Selon l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), les réserves en eau de l’ensemble des barrages ont chuté de 25,5%, soit une baisse de 201,32 millions de mètres cubes par rapport à la moyenne des trois dernières années, pour s’établir à 586,493 millions de mètres cubes au 6 octobre 2023, contre une moyenne 787,925 millions de mètres cubes à la même date les années précédentes.

Tous les barrages ne sont pas cependant logés à la même enseigne. La répartition des réserves en eau montre que le barrage de Sidi Salem abrite actuellement la plus grande quantité d’eau, soit 172,856 millions de mètres cubes, avec un taux de remplissage de 30 %. Viennent ensuite les barrages de Sejnane, qui comptent 53,077 millions de mètres cubes avec un taux de remplissage de 40 %, de Sidi Saâd avec 32,460 millions de mètres cubes et un taux de remplissage de 24 %, et de Bouhertma avec 21,373 millions de mètres cubes et un taux de remplissage de 19 %.

D’autres barrages importants affichent cependant des niveaux de réserves très bas. Tel est par exemple le cas des barrages de Joumine (12,991 millions de mètres cubes), de Mellègue (7,842 millions de mètres cubes), de Bir Mcherga (8,729 millions de mètres cubes), de Siliana (5,485 millions de mètres cubes) et d’El Haouareb (0,006 million de mètres cubes).

La situation est d’autant plus alarmante que les pluies d’automne, qui contribuaient habituellement à une importante remontée du niveau de réserves des barrages, ont enregistré un grand retard.

Cela a déjà incité le ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche à prolonger les restrictions dans l’utilisation de l’eau pour l’agriculture et les particuliers dans le pays, qui avaient été annoncées en mars dernier. Ces restrictions consistent à interdire l’utilisation d’eau potable dans l’irrigation agricole et des espaces verts, le nettoyage des rues et des espaces publics. Pas question non plus pour les particuliers d’arroser leur jardin ou de nettoyer leur voiture avec l’eau du robinet. Les contrevents risquent de subir des sanctions qui vont de l’arrêt de l’alimentation sans préavis à l’engagement des poursuites judiciaires pouvant aboutir à des peines de six jours à neuf mois d’emprisonnement et à des amendes de 60 à 1 000 dinars.

Déclarer l’état d’urgence hydrique

Les restrictions dans l’utilisation de l’eau resteront en place jusqu’à nouvel ordre. Ces dispositions ne suffisent cependant pas, à elles seules, pour conjurer le spectre de la soif qui guette le pays.

A l’instar des autres pays du Maghreb, la Tunisie est en effet une terre de transition entre les climats méditerranéen et désertique, et ne bénéficie du climat subhumide que sur une étroite bande littorale, alors que plus de 80% de son territoire est exposé aux climats semi-aride et aride.

La crise de l’eau devrait s’intensifier dans les années à venir. D’autant plus que les vagues de sécheresse deviendront de plus intenses en raison du réchauffement climatique

Selon les projections des climatologues, la rive sud de la Méditerranée sera exposée à un déplacement des étages bioclimatiques vers le nord, ce qui se traduira par une montée des températures et une diminution des précipitations. D’après les modèles climatiques prévisionnels, la région connaîtra une augmentation des températures de 3 degrés d’ici 2050 et de 5 dégrés d’ici 2100 respectivement, avec une baisse des pluies de 20% à 50% pour ces mêmes échéances.

Le World Resources Institute (WRI, Institut des ressources mondiales) a d’autre part révélé, dans une récente étude que la Tunisie figure parmi les 33 pays du monde qui connaîtront un stress hydrique très intense à l’horizon 2040. Ce think tank américain spécialisé dans les questions environnementales a identifié les pays qui seront soumis à un stress hydrique très intense, en s’appuyant sur les données du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

« Avec moins de 400 m3 par habitant et par an, la Tunisie est déjà sous le seuil de la pauvreté hydrique (<1000 m3/habitant/an). Cette situation a été aggravée ces dernières années par les effets du dérèglement climatique, la hausse de la demande et la vétusté des infrastructures », résume Raoudha Gafrej, experte en gestion des ressources hydriques et en adaptation au changement climatique.

Professeur à l’Institut supérieur des sciences biologiques appliquées de Tunis, Mme Gafrej estime que les mesures d’économie d’eau, l’entretien des infrastructures et la mobilisation des ressources hydriques conventionnelles ne sont plus suffisantes.

« Le gouvernement devrait déclarer sans tarder l’état d’urgence hydrique et investir massivement dans le dessalement de l’eau de mer et le traitement des eaux usées. Une révision des tarifs de l’eau est également plus que jamais nécessaire », suggère-t-elle, indiquant que l’Etat ne doit plus subventionner l’eau utilisée dans les hôtels ou encore les usines.

L’experte recommande par ailleurs d’abandonner les cultures très gourmandes en eau comme les pastèques, les fraises et les agrumes et de les remplacer par des cultures plus adaptées au climat aride ainsi que la généralisation des techniques d’irrigation de précision comme les systèmes goutte-à-goutte ou les diffuseurs enterrés.

Walid KHEFIFI