Par Slim BEN YOUSSEF

Face caméra, cette femme gazaouie, dont la maison vient d’être démolie, pousse un cri. Inintelligible, obscur, sibyllin. On voit qu’elle rouspète en agitant les bras. Carton : On répète la séquence. La femme gazaouie, dont la maison vient d’être démolie, rouspète toujours en agitant les bras. Cette fois-ci, une voix off masculine parle la même langue : un hurlement de terreur mêlée d’aversion et d’insurrection que durant des décennies entières des Gazaouis ont grommelée.

Quelque diverses que soient les langues humaines, il monte de Gaza une langue au-dessus de toutes les langues, qui est aussi l’origine même où elle se renouvelle. Un écho de plainte terrifiée, générale, tempétueuse, irascible, rebelle qui paraît à chaque fois, aussi neuve qu’assourdissante, comme un fond sonore qui rend fou. Le retentissement d’un fragment d’effroi commun, mêlé de colère et d’insoumission, que chaque Gazaoui émet sans doute à sa façon mais qui erre de lèvres en lèvres.

De visage en visage.

Le montage du film est sagace : tous ces beaux visages de Gazaouis qui défilent sur l’écran. Interdits, épouvantés, meurtris mais séditieux, inflexibles, insoumis, indociles, résistants.

1973, un soldat de l’ennemi israélien dit : Je préfère de loin participer à cinq autres guerres que de combattre une seule fois les Gazaouis. Voix off : Gaza, le plus résistant des fragments de terres dans la carte révolutionnaire de la Palestine.

1973, Arlette Tessier, journaliste, dresse le bilan de son séjour de trois jours à Gaza : rue Omar El Mokhtar, 18 Palestiniens tués dans une attaque à la grenade ; camp de Jabalia, deux Palestiniens tués par balles ; à Rafah, une station-service bombardée, les rails d’un train démantelés ; 35 canaux d’irrigation endommagés à Kubbutz ; une patrouille israélienne tire sur un enfant dans le camp de Nssirat. Tout ceci en seulement trois jours. Et malgré cela, Israël parle d’une période de paix.

Pour le reste, les scènes d’occupation ponctuent le quotidien : maisons démolies, immeubles sous les bombes, cités entières sous les bulldozers, massacres et arrestations. En 1968, le tribunal militaire israélien de Lydda condamne Kamal al Nimri à 154 ans d’emprisonnement. En 1972, le même tribunal condamne Mohamed Shammut à 300 ans de prison. « Je répète : 300 ans de prison. »

Scènes d’occupation à Gaza. Court-métrage palestinien, 13 minutes, réalisé en 1973 par Mustapha Abu Ali. En pleine guerre génocidaire sioniste menée actuellement à Gaza, ce documentaire, qui tranche par la puissance de son propos et la fraicheur de son dispositif, est ce qu’il y a de mieux à voir en ce moment. Projeté en plein air, jeudi soir, par un collectif de résistance tunisien dans la très symbolique place Mohamed Brahmi (ex Jeanne d’arc) à Tunis.