L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a entamé, hier, l’examen du projet de loi relatif à criminalisation de la normalisation avec l’entité sioniste qui prévoit des peines de prison, pouvant aller jusqu’à la perpétuité dans un climat de confusion.

Même si l’écrasante majorité des élus étaient d’accord sur la nécessité de considérer toute normalisation avec Israël comme un crime, plusieurs voix ont appelé à ne pas céder à la précipitation et à reporter l’adoption de ce projet de loi afin de mieux étudier ses tenants et ses aboutissants. D’autant plus que les pouvoirs exécutif et judiciaires n’ont pas jusqu’ici émis des avis sur ce texte.

« Cette séance plénière est entachée d’un vice-de forme. Il est en effet inconcevable que les députés rédigent un projet de loi aussi important, le discutent et l’adoptent sans tenir des séances d’audition avec des représentants de l’appareil exécutif comme ceux du ministère des Affaires étrangères, de la Présidence de la République et du ministère de la justice », a lancé la députée Fatma M’seddi. Et d’ajouter : « C’est comme si nous étions dans un Etat de députés. Cette séance plénière représente un précédent historique ».

Dans ce même cadre, plusieurs dizaines de députés ont signé une pétition réclamant le report de la plénière et le renvoi du projet de loi devant la commission des droits et des libertés pour approfondir le débat sur son contenu et consulter des représentants de l’exécutif ainsi que le conseil supérieur de la magistrature.

Une autre pétition signée par un nombre limité de députés a par ailleurs demandé le recours au vote secret sur ce projet de loi afin de protéger l’identité des élus qui pourraient s’abstenir ou voter contre le texte controversé.

Ces réticences font écho à l’appel lancé par le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, à la retenue et à un examen plus profond du texte.

« Il faut du temps pour exprimer un avis sur ce projet. Chaque loi doit être étudiée pour déterminer ses répercussions. Nous ne pouvons pas promulguer une loi en deux jours. Qui criminalisons-nous ? Nous n’avons aucune relation avec l’entité sioniste, alors qu’est-ce que nous criminalisons ? », s’est-il interrogé mercredi soir dans une interview sur la chaîne de télévision Al-Wataniya.

Certains cependant exigé l’adoption du projet de loi même si l’exécutif n’a pas été consulté et même s’il comporte certaines failles.

« Nous exigeons l’adoption du projet de loi quelques soient les conséquences. Nous avons un rendez-vous avec l’histoire. Personnellement, je voterai pour ce projet de loi même s’il est incomplet et même si les procédures n’ont pas été respectés », a martelé la député indépendante Manel Bdida.

Des manifestants ont d’autre part campé devant l’hémicycle pour exiger l’adoption du texte. Ils ont scandé des slogans hostiles au sionisme, et brûlé le drapeau israélien pour mettre la pression sur les députés.

Haute trahison

A l’ouverture d’une séance plénière, le président de l’ARP, Brahim Bouderbala, a souligné la convergence des points de vue entre le président Kaïs Saïed et le Parlement en ce qui concerne la normalisation des relations avec l’entité sioniste.

« Nous confirmons qu’il y a une harmonie complète entre la position du président, celle du Parlement et les aspirations de l’opinion publique. Nous sommes fermement convaincus que la Palestine doit être libérée du fleuve à la mer, que la patrie entière doit être restaurée et que l’État palestinien doit être établi avec la Sainte Jérusalem comme capitale », a-t-il déclaré.

Le projet de loi comprend six articles et a été élaboré par un groupe députés proches du président Kaïs Saied. Il définit la normalisation comme « la reconnaissance de l’entité sioniste ou l’établissement de relations directes ou indirectes » avec Israël. Il prévoit une peine de 6 à 12 ans de prison pour « haute trahison » pour quiconque commet « le crime de normalisation » et la réclusion à perpétuité en cas de récidive.

Selon le texte « tous les actes intentionnels impliquant la communication, le contact, la propagande, la conclusion de contrats ou la coopération, directement ou indirectement, par des personnes physiques ou morales de nationalité tunisienne avec toutes les personnes physiques et morales, affiliées à l’entité sioniste », sont punissables.

Toute interaction est également interdite aussi aux Tunisiens avec « les individus, les institutions, les organisations, les entités gouvernementales ou non gouvernementales » liés à Israël, « à l’exception des Palestiniens de l’intérieur ».

« Participer à des activités, événements, manifestations, réunions, expositions, compétitions, qu’elles soient politiques, économiques, scientifiques, culturelles, artistiques ou sportives, se déroulant sur le territoire occupé ou contrôlé » est aussi passible de sanctions.

En Tunisie, le soutien à la cause palestinienne est ancré dans l’histoire du pays. Tunis a abrité de 1982 à 1994 l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat après son départ du Liban. En octobre 1985, l’aviation israélienne avait procédé à un bombardement massif du quartier général de l’OLP à Hammam-Chott, tuant 50 dirigeants de l’OLP et 18 citoyens Tunisiens.

Dans de nombreux discours, le président Kaïs Saied a qualifié à plusieurs reprises la normalisation avec Israël de « haute trahison ». Le locataire de Carthage a également chargé son ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, de formuler une réserve sur les décisions de la réunion extraordinaire du Conseil de la Ligue arabe qui s’est tenue mercredi 11 octobre au Caire. « La Palestine n’est pas un dossier ou une affaire dans laquelle il y a un plaignant ou un défendeur, mais c’est plutôt le droit du peuple palestinien qui ne peut être prescrit ou annulé par l’occupation sioniste par le meurtre, le déplacement et la coupure des éléments les plus fondamentaux de la vie, comme l’eau et les médicaments, la nourriture et l’électricité et ciblant les personnes âgées, les femmes et les enfants innocents, les maisons, les hôpitaux et les équipes de secours et d’ambulance », a souligné M. Saïed.

Depuis le début des frappes israéliennes contre Gaza, des milliers de Tunisiens ont aussi manifesté en soutien aux Palestiniens.

 

Walid KHEFIFI