La Chambre syndicale nationale des boulangers a tiré la sonnette d’alarme sur une nouvelle pénurie de pain, en raison de la baisse de l’approvisionnement des fournils en farine subventionné.

« Les boulangeries ne reçoivent plus le quota supplémentaire de 70 000 quintaux qui avait été décidé par le président de la République pour résoudre la crise du pain survenue en été. Le ministère du Commerce a cessé   cet approvisionnement exceptionnel depuis début octobre », explique Sadok Haboubi, le trésorier de la chambre syndicale rattaché à l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA).

« Pour satisfaire la demande, les boulangers ont été ainsi contraints à puiser dans leurs stocks mensuels, mais ce rafistolage ne peut plus durer. Les quantités disponibles au niveau des boulangeries s’épuiseront dans les jours à venir. Une nouvelle pénurie de pain avec son corollaire de file d’attentes et de rationnement pourrait refaire surface si rien n’est fait », a-t-il ajouté.

Appelant le Chef de l’Etat à intervenir pour trouver des solutions durables ay problème d’approvisionnement en farine, le responsable syndical a d’autre part indiqué que les boulangeries réclament par ailleurs le versement de quatorze arriérés de compensation, soit une somme d’environ 260 millions de dinars.

Lors de la crise du pain survenu en juillet dernier, l’Etat a décidé de priver les boulangeries « modernes » de la farine subventionnée, avant de reprendre l’approvisionnement de cette catégorie de fournils en en farine et semoule à compter du 19 août, à la suite de leur engagement à « respecter des lois relatives à la production et à la vente du pain ». Depuis, les boulangeries modernes ne sont plus autorisées à vendre la fameuse « baguette subventionnée » à 190 millimes.

Le président de la République a également limogé le PDG de l’Office national des céréales, Béchir Kthiri, tout en appelant la ministre de la justice Leila Jaffel à engager des poursuites contre les spéculateurs parmi les distributeurs des farines.

D’autre part, Chambre syndicale nationale des boulangers a été arrêté, après avoir été accusé d’avoir « vendu sous le manteau leur farine à bas prix aux boulangeries modernes ».

La disponibilité des produits issus de la transformation des céréales en général et du pain en particulier est un sujet sensible en Tunisie où des émeutes meurtrières avaient éclaté entre le 27 décembre 1983 et le 6 janvier 1984 après un doublement du prix du pain du jour au lendemain.

Manque de liquidités

Bien qu’ils admettent que la rareté de certains produits profite inévitablement à des spéculateurs et des trafiquants, les économistes pensent cependant que l’interdiction de la vente de la farine subventionnée à près de 1500 boulangeries non classées (modernes) et l’éviction du PDG de l’Office des céréales constituent des traitements symptomatiques.

Selon eux, la « crise du pain » est en réalité liée à une insuffisance d’approvisionnement du marché en farine subventionnée par l’Etat, car la Tunisie ne parvient pas à acheter suffisamment de céréales sur le marché international en raison de son endettement et du manque de liquidités.

Grâce à la Caisse générale de compensation (CGC), pièce maîtresse du système national de subvention des produits alimentaires de base, l’Etat centralise depuis les années 70 les achats des céréales pour les réinjecter sur le marché à bas prix.  Il est désormais obligé d’étaler ses approvisionnements, en raison du manque de liquidités et du niveau élevé de la dette publique. Les fournisseurs étrangers exigent désormais d’être payés avant le déchargement des navires de céréales, dont certains restent en rade durant plusieurs semaines.

Dans ce cadre, l’économiste Ezzeddine Saïdane a révélé que l’Office des céréales peine à payer ses fournisseurs à temps, en raison du manque de liquidités, indiquant que les dettes de cet office auprès de la Banque nationale agricole (BNA) s’élèvent à plus de 5000 millions de dinars (5 milliards de dinars).

« L’Etat a transféré la mauvaise situation des finances publiques aux établissements publics qui sont devenus incapables d’assurer le règlement de leurs achats, perdant ainsi la confiance de leurs fournisseurs étrangers et des banques locales. L’exemple le plus frappant est celui de l’Office des céréales qui est chargé d’importer les céréales et de les revendre à un prix subventionné. Mais cet office ne perçoit pas la différence entre les deux prix de la part de la Caisse générale de compensation, autrement de la part de l’Etat qui l’oblige à s’endetter auprès de la BNA », a-t-il expliqué.

La situation a été aggravée en 2022 par le conflit russo-ukrainien, qui a provoqué une flambée des prix des céréales et des fortes perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales en ces denrées, ainsi que par une sécheresse inédite qui a décimé les récoltes locales de blé.

                                                                                                          Walid KHEFIFI