Le vote du budget pour l’année 2024, a été l’occasion par le Parlement d’évaluer le rendement du Gouvernement. En effet, dans la discussion de certains députés avec les ministres on pouvait déceler un emportement dénotant d’un certain mécontentement. C’est ce qu’a confirmé le député Bilel Mechri, élu de la circonscription de la Chebba-Melloulech-Sidi Alouane, lors de son intervention sur les ondes de Mosaïque FM., en déplorant « une divergence notoire entre les déclarations du président de la République et chef de l’exécutif Kaïs Saïed et les décisions prises par les ministres ». Il tire cette conclusion d’après le projet de loi de finances qui selon lui « ne reflète pas la volonté du peuple ».

En effet, le projet de loi de finances pour l’année 2024, selon le rapport y afférent, a pour finalité de mettre en œuvre des objectifs de développement, accélérer la relance économique, multiplier les opportunités d’investissement, de production, d’exportation et de création de postes d’emploi. Or nous sommes en présence d’une conjoncture défavorable pour réduire la pauvreté, créer de l’emploi et œuvrer pour plus de prospérité et ce, face à la dégringolade du taux de croissance à cause notamment d’une saison agricole néfaste avec des baisses des récoltes céréalières.

Concernant l’investissement, il n’a pas encore repris au rythme qu’il avait avant l’avènement du covid en 2019. L’un des buts de la loi de finances de 2024 est d’initier la relance de l’investissement. Selon le député Bilel Mechri, «   le gouvernement actuel applique la même politique de ceux qui l’avaient précédé et cherche à servir les intérêts de bailleurs de fonds ». Les ministres actuels n’ont pas réussi au vu de ces données, à inciter dans les prévisions budgétaires pour la nouvelle année 2024, à pallier aux difficultés que rencontre le pays par des choix qui évitent l’endettement. « Le député fait remarquer que « le président de la République parle de souveraineté alimentaire. Or, aucun élément du budget de l’État n’évoque cela ». Bref, la loi de finances pour l’année 2024 ne reflète pas selon le député « la volonté du peuple ou la politique voulue par le président de la République ». Aussi estime-t-il que le gouvernement actuel a échoué et « les ministres se sont montrés défaillants ». Est-ce pour cela qu’il y a des limogeages parmi les ministres dont notamment le ministre de l’économie Samir Saied ?

Responsabilité du gouvernement et objectifs spécifiques

Des limogeages parmi les ministres et les hauts fonctionnaires de l’Etat, il y en a eu, aussi bien sous le gouvernement de Ahmed Hachani ou de Nejla Bouden, que ce soit parmi des PDG d’entreprises publiques ou des gouverneurs. La précédente cheffe du Gouvernement a elle-même été limogée en août 2023. Cela est sans conteste parce que leur rendement n’était pas conforme aux attentes du président de la République qui estiment notamment qu’il y a encore dans l’administration publique ceux qui veulent mettre des bâtons dans les roues. Il l’a exprimé clairement à Ahmed Hachani en ces termes crus et bien explicites : « ceux qui entravent délibérément la mise en œuvre des projets en Tunisie ne sont pas dignes de leurs responsabilités ». En fait, la responsabilité d’un ministre ou d’un haut commis de l’Etat, est davantage liée à des obligations de moyens et de résultats politiques plutôt qu’à des obligations de résultats stricts. Une responsabilité qui est souvent évaluée en termes de résultats politiques, de respect des engagements et de la mise en œuvre des politiques gouvernementales. Toutefois les ministres doivent rendre des comptes de leurs actions et de celles de leurs départements devant les instances appropriées. Leur réussite est souvent mesurée par l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre sous leur direction. Cela peut inclure des objectifs spécifiques tels que la réduction du chômage, l’amélioration de l’éducation, ou la croissance économique. En règle générale, les ministres ont des obligations de moyens, ce qui signifie qu’ils sont tenus de déployer tous les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. Cependant, des circonstances imprévues peuvent parfois entraver la réalisation de certains résultats, comme c’est le cas actuellement avec les pénuries dont souffre le pays. C’est la raison pour laquelle, bien que les ministres soient généralement évalués en fonction de leurs résultats politiques, leur responsabilité repose souvent sur des obligations de moyens et sur leur capacité à mettre en œuvre les politiques gouvernementales plutôt que sur des obligations de résultats. CE que contestent certains autres en considérant qu’’un bon ministre doit se déployer pour parvenir à un résultat quels que soient les moyens. Ceux qui ont connu la période de collectivisation en Tunisie, qui a abouti à un échec cuisant, ne sont pas sans savoir l’effort fourni ultérieurement par feu Hédi Nouira, qui a pris les commandes du gouvernement dans les années soixante-dix du siècle dernier, pour sauver la situation tant sur le plan économique que social.

Des choix de programmes imprécis

Au vu de ces éléments peut-on dire comme l’a affirmé le député, que le gouvernement a échoué ? Il y a d’une part le fait que le rôle social de l’Etat n’a pas été bien préservé par le précédent gouvernement, ainsi que par le gouvernement actuel qui vient de prendre la relève depuis quelques mois. Certes, comme l’a indiqué encore le député Mechri, « le discours prononcé par le chef du gouvernement, Ahmed Hachani était insatisfaisant et manquait de précisions au sujet des choix, du programme et des orientations de son équipe ». Cependant on ne peut pas exiger des miracles en l’état actuel des choses où le pays est en situation de crise économique. Peut-être y-a-t-il un effort de la part de l’équipe gouvernementale à redresser la barre afin de répondre aux attentes des citoyens et ce n’est qu’une question de moyens et de temps. D’autant plus que certains ministres sont en train de travailler sur des projets de lois que ce soit dans le domaine économique ou judiciaire, même s’ils mettent du temps à les finaliser, comme c’est le cas pour la réforme de la loi sur les chèques sans provision qui tarde à venir avec beaucoup d’autres projets de lois dans d’autre secteurs du gouvernement. Changer de gouvernement causerait davantage de perte de temps. Le député propose « la création d’un gouvernement dont les membres sont choisis pour une durée bien déterminée et afin de réaliser des objectifs clairs ». Le résultat, selon d’autres observateurs, serait à peu près le même, car à la base ce n’est pas une question d’hommes mais de stratégie et de moyens. La stratégie c’est le chef de l’exécutif qui la dicte. Le chef de l’Etat joue un rôle de supervision et de coordination, et c’est la mise en œuvre détaillée des politiques qui peut être confiée au chef du gouvernement. Si le chef du gouvernement est responsable de la gestion quotidienne du gouvernement, de la mise en œuvre des politiques et des initiatives gouvernementales, le chef de l’Etat joue un rôle clé en définissant les grandes orientations et les priorités politiques. Toutefois, ce sont les moyens qui importent pour pouvoir mettre en œuvre un programme gouvernemental. C’est la raison pour laquelle certains observateurs pensent qu’il n’est pas encore opportun de juger le rendement de l’actuel gouvernement pour lequel il faut accorder, malgré certaines défaillances, un préjugé favorable. Surtout que l’instabilité ministérielle est signe d’échec. C’est probablement pour cela qu’il n’y a pas eu   de remaniement ministériel. Le chef du gouvernement actuel préfère pour le moment continuer avec l’équipe de Bouden qui se sont attelé à l’œuvre, hélas face à des moyens limités. Mais comme dit le proverbe « la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ».

 

Ahmed NEMLAGHI