Le cri de détresse de Awatef Cheniti députée et assesseure de l’Assemblée des représentants du peuple, lancé dernièrement durant la plénière consacrée au budget, laisse perplexe. En larmes et dans tous ses états, elle a déploré que plusieurs docteurs universitaires soient au chômage. Elle a par là-même, dénoncé des recrutements sur la base de népotisme, en déclarant « Étant moi-même docteure, ma place est normalement dans un laboratoire ou dans une pharmacie ». Elle a participé à un sit-in lors du gouvernement Bouden et des promesses ont été faites à tous les manifestants, qu’il y aura un recrutement de 800 personnes en 2020 et autant en 2021. Des promesses qui n’ont malheureusement pas été tenues dit-elle en déplorant qu’un collègue à elle, en situation de handicap et docteur en beaux-arts, n’ait pas été retenu.  « Ceux ayant réussi le concours ne le méritent pas. Il s’agit de personnes ayant des connexions au niveau des laboratoires », a-t-elle regretté.

En fait, selon l’Institut national de la statistique (INS) le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur a atteint 23,7 % au deuxième trimestre de l’année 2023 (contre 23,1 % au premier trimestre de l’année et 22,8 % au deuxième trimestre de 2022). Cela est dû à la conjoncture actuelle, avec le marasme économique qui n’encourage nullement aux recrutements ni dans le secteur privé, ni dans le secteur public.  Seulement il y a d’autres facteurs qui y sont pour beaucoup dans cette crise de l’emploi des diplômés. La politique de l’emploi n’a pas encore rétabli le déséquilibre structurel entre l’offre et la demande du travail, accentué par l’inadéquation entre la formation et l’emploi. Cela se vérifie par le nombre de plus en plus élevé des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. Au niveau de l’enseignement supérieur il n’y a pas d’encouragement à la recherche à cause du manque de moyens aussi bien en matière d’infrastructure que financièrement parlant. Car les chercheurs doivent normalement être payés et trouver l’infrastructure nécessaire à leurs recherches. L’intervention de la députée se justifie d’autant plus que le taux d’activité est encore plus faible pour les femmes. En effet, selon l’INS, les trois quarts des femmes en âge de travailler sont des femmes au foyer.

Recrutement sur la base de népotisme

En outre et face à cette situation, il y a bien entendu des recrutements sur fond de népotisme et de favoritisme surtout durant la dernière décennie, où plusieurs ont été recrutés à cause de leur appartenance politique, sans parler de ceux qui ont présenté de faux diplômes. Alors que comme l’a indiqué la députée « près de quatre mille personnes ont fait des études de dix et douze ans après avoir obtenu le baccalauréat afin de devenir docteurs et ont fini par être des chômeurs ». L’Enquête sur la transition des jeunes de l’école vers la vie active a montré que 37,7 pour cent des jeunes ont une durée du chômage de 2 ans et plus et que la situation de ceux qui ont déjà trouvé un emploi n’est pas non plus satisfaisante : 55 % des jeunes ne possèdent pas de contrat de travail, et 91 pour cent ne bénéficient d’aucune indemnité en cas de licenciement.

Soutenir des entreprises, voie à la création d’emploi

Il n’y a donc pas jusqu’à présent une bonne politique de l’emploi par l’État qui est censé viser à procurer un environnement favorable à la création d’emplois, à la réduction du chômage et à l’amélioration de la qualité de l’emploi, surtout pour les jeunes diplômés. Si l’Etat a investi dans l’éducation et la formation professionnelle pour améliorer les compétences des travailleurs et les adapter aux besoins du marché du travail, il n’en reste pas moins que les recherches des moyens ont fait défaut.  Car parmi ces moyens on peut inclure des programmes de formation continue, des partenariats entre les établissements d’enseignement et les entreprises, et des incitations à l’apprentissage. Il faut pour cela que le secteur privé avec les multiples entreprises s’implique davantage. L’Etat peut fournir à cet effet, des incitations et des soutiens aux entreprises pour encourager la création d’emplois. Cela peut inclure des allégements fiscaux, des subventions, des crédits d’impôt et d’autres mesures incitatives financières visant à encourager l’investissement et la croissance des entreprises.

Encourager le dialogue entre gouvernement et acteurs du travail

Par ailleurs, les banques et institutions financières peuvent encourager les jeunes à créer des petits projets pour voler de leurs propres ailes et créer des emplois à leur tour. Toutefois et comme l’a indiqué encore la députée : « On nous appelle à créer des projets. En sollicitant l’appui des banques, on nous demande des garanties, c’est-à-dire, que le diplôme de doctorat, en Tunisie, n’est pas une garantie, Il ne vaut rien. Les docteurs, aujourd’hui, travaillent en tant que serveurs. Les docteurs sont devenus des maçons. L’élite, dont les mères ont travaillé en tant que femmes de ménage ou ouvrières agricoles, ou dans d’autres secteurs ». Il est donc important d’encourager le dialogue social entre les employeurs, les travailleurs et le gouvernement. La participation des partenaires sociaux à la prise de décisions sur les politiques de l’emploi peut favoriser la cohésion sociale et améliorer l’efficacité des politiques mises en œuvre. Toutefois, cela ne peut se réaliser que dans une conjoncture économique plus favorable, en œuvrant par ailleurs à éradiquer toutes les pratiques de favoritisme, de régionalisme ainsi que toutes les pratiques contraires à la loi qui ont été la cause essentielle de tant d’obstacles dans le développement des projets destinés à la création d’emploi notamment pour les jeunes diplômés et à la résorption du chômage d’une manière générale.  Le chemin est plein d’embûches, mais l’espoir est permis.

Ahmed NEMLAGHI