Plusieurs partis politiques, organisations de la société civile et personnalités indépendantes ont lancé une pétition appelant les citoyens à boycotter les élections des membres des conseils locaux prévues le 24 décembre, estimant que ce scrutin représente une nouvelle étape sur le chemin du « démantèlement des institutions démocratiques de la République ».

Les signataires de la pétition parmi lesquels figurent Sana ben Achour, universitaire et juriste, Hamma Hammami, le secrétaire général du parti des travailleurs, Faouzi Charfi, dirigeant du parti Al Massar (gauche), Youssef Seddik, philosophe et anthropologue, ou encore Nabil Hajji, secrétaire général du Courant démocratique (Attayar) et Bassem Trifi, président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH) soulignent que les élections locales se tiennent  « alors que les conseils locaux  ne sont pas encadrés par une loi fondamentale définissant leurs rôles et pouvoirs, ce qui est sans précédent dans l’histoire des nations et des peuples ».

Ils ont également indiqué que la mise en place de ces conseils « vise à affaiblir le pouvoir local et à le transformer en un outil aux mains du président de la République », rappelant que la Constitution de 2022 a déjà permis au Chef de l’Etat de concentrer tous les pouvoirs et transformé les pouvoirs judicaire et législatif en de simples fonctions soumises à la volonté du pouvoir exécutif ».

Les signataires de la pétition ont d’autre part fait remarquer que les élections locales auront lieu dans un climat marqué par « une crise politique sans précédent après l’exclusion des partis politiques et l’imposition d’une orientation autoritaire et répressive visant les opposants, les syndicalistes, les journalistes, les avocats, les intellectuels, et tous les défenseurs de la libre expression, par des restrictions, des procès et des arrestations ».

Plusieurs formations d’opposition avaient déjà annoncé au cours des dernières semaines qu’elles le boycotteraient les élections locales. Il s’agit, entre autres, du Front du salut national (FSN), une coalition politique rassemblant des partis d’opposition et des associations.

« Le climat politique et social n’est pas propice à tenir cette échéance locale qui ne répond pas aux standards internationaux en matière de démocratie. Les Tunisiens ne se sentent pas concernés par les élections locales qui devraient plutôt être remplacées par des législatives et présidentielles anticipées afin de rétablir la légitimité en Tunisie », a déclaré le leader du FSN, Ahmed Néjib Chebbi, le 20 novembre, tout en appelant les forces vives à ne pas participer aux élections locales.

Le Parti destourien libre (PDL) a annoncé de son côté, le 23 novembre dernier, le dépôt de trois recours suspensifs contre la convocation des électeurs. Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, le parti a rappelé que sa présidente, Abir Moussi, était alors en détention depuis 52 jours pour avoir tenté de déposer les demandes relatives à ces recours auprès de la présidence de la République.

Dernière étape de l’instauration du système de « démocratie par la base »

Le parti Afek Tounes a, quant à lui, réaffirmé, dans un communiqué publié dimanche 8 octobre 2023, qu’il ne participerait pas aux élections locales prévues en décembre appelant les Tunisiens à boycotter ce scrutin.  Il a également a qualifié les choix politiques du pouvoir en place de « perte de temps, d’efforts et de ressources », tout en appelant le pouvoir à répondre aux revendications des citoyens loin des théories du complot et des discours populistes, et ce en engageant au plus vite les réformes structurelles nécessaires susceptibles de créer un changement réel dans le quotidien des citoyens.

Les élections des membres de 279 conseils locaux, dont une partie est amenée à devenir membres de 24 conseils régionaux, marquent la dernière étape de l’instauration du système de « démocratie par la base » conçu et mis en œuvre brique par brique par le président Kaïs Saied depuis qu’il s’est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021.

Connu sous l’appellation de la « nouvelle construction », ce projet de « démocratie participative » est censé marquer la montée en puissance des localités et des régions dans le domaine de la gouvernance politique. Il a pour ambition de transférer les instances de décision de l’Etat central vers les échelons locaux et régionaux, afin de traduire au mieux ce que « le peuple veut » et introduire une forme de démocratie directe qui permettrait à chaque région de se prendre en charge et de remédier ainsi aux fractures sociales et régionales, qui furent l’étincelle de la révolution de 2011. Un accord doit être établi au préalable sur ce que le représentant, doit accomplir une fois élu. Des ateliers de travail devraient être organisés pour l’élaboration d’un projet permettant au conseil local la préparation d’un plan économique et social pour le développement de la localité. Les conseils régionaux sont chargés de faire la synthèse des différents projets conçus au niveau local.

Le projet prévoit par ailleurs le recours du mécanisme du « recall » américain garantissant la possibilité de retirer la confiance à l’élu à tous les échelons.

D’après ses promoteurs, cette réorganisation des pouvoirs publics vise à conférer le pouvoir au peuple et à lui restituer sa révolution confisquée par un cartel de partis opposés en apparence, mais en négociation permanente pour se partager les prébendes du pouvoir en collusion avec les milieux d’affaires.  

Walid KHEFIFI