Où sont donc passées les pièces de cinq, dix et vingt millimes ? Elles ont l’air de disparaître ou ont déjà disparu comme celles de 1 et 2 millimes qui se sont retirées depuis belle lurette de la circulation monétaire et font désormais partie de l’histoire, telles des pièces rares convoitées par les collectionneurs de vieilles monnaies. Ce sont en principe ces pièces qui font la monnaie d’appoint aux commerçants et aux guichets des gares du train et des contrôleurs de bus.

En effet, ces petites pièces font souvent défaut chez pas mal de commerçants à telle enseigne que le client exigeant son reste de l’addition s’est habitué à l’éternelle réponse du vendeur : « je m’excuse, je n’ai pas d’appoint, je vous dois dix millimes ! » Pourtant, du côté de la banque centrale, le circuit monétaire, croit-on savoir, est bien alimenté par ces petites pièces dont le rôle est de faciliter les échanges commerciaux entre les citoyens.

Les petits ruisseaux font les grandes rivières

Cette réponse est malheureusement récurrente non seulement dans pas mal de commerces de proximité (épicier, marchand de légumes, boulanger…), mais aussi dans les cafés, chez le pharmacien, chez le libraire… Dans les guichets des gares ferroviaires ou de stations de métro, on a tendance à arrondir les tarifs, sous prétexte qu’on ne dispose pas de petites pièces, et à chaque fois le client est consentant, même à contre cœur, étant toujours pressé de rattraper un train ou un métro sur le point de partir. Dans les bureaux de postes, les retraités qui s’y rendent chaque mois pour percevoir leur pension consentent à laisser ces quelques millimes qui dépassent le montant en dinars de leur mandat : si le montant de la pension est de 850 dinars et 025 millimes, il arrive souvent que ces 25 millimes ne soient pas perçus par l’intéressé qui, en général, n’y accorde pas d’importance ! Allez chez le boulanger acheter une baguette vendue officiellement à 190 millimes, donnez-lui 200 millimes, mais il ne vous rendra jamais les 10 millimes restants, non qu’il n’ait pas de petites monnaies dans sa caisse, mais il est surtout encouragé par le consentement du client. Quand il s’agit de deux baguettes, c’est la pièce de 20 millimes qui manque, vous lui remettez 400 millimes et vous rentrez sans mot dire ! C’est que le Tunisien n’est pas transigeant quand il est question de ces petites pièces qui, prises séparément, ne valent rien à ses yeux. Arrivé chez le marchand de légumes, le client n’exige pas la petite monnaie qui devrait lui être rendue par le commerçant qui a tendance à arrondir l’addition, c’est ainsi que le montant de 2570 deviendrait 2600 tout court, les 30 millimes sont alors empochés par le marchand. Ces petites pièces qui servent d’appoint font toujours défaut partout même dans les pharmacies où les médicaments sont tarifés au millime près ; à titre d’exemple, ce médicament coûte 3.547 millimes, cet autre se vend à 12.821 et cet autre encore vaut 8.605 millimes, le total se chiffre à 24.973 millimes : ce montant est donc arrondi pour devenir 25.000, faute de petite monnaie à rendre au client. Ce client, ayant acquis ses médicaments, ne cherche pas le reste.

Ces commerçants qui ne rendent pas la petite monnaie à leurs clients sous prétexte qu’il en manque toujours sont partout et cette pratique est très fréquente dans nos contrées. Qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi, on se demande comment ils peuvent réagir en cas de clients trop exigeants. « Personnellement, nous a confié un client dans une grande surface, je ne tolère pas qu’on se joue de moi de la sorte ! Le client ne doit payer que ce qu’il a acheté ! C’est l’affaire du commerçant de se procurer de la monnaie auprès des banques. Imaginez le nombre de clients auxquels il ne rend pas ces pièces de 10 ou de 20 millimes ! Faites le compte et vous trouverez qu’au bout de chaque mois des centaines de dinars vont remplir les poches de ce commerçant, aux dépens de ces clients ! » En effet, comme dit le proverbe : « les petits ruisseaux font les grandes rivières. »

La monnaie d’appoint ne manque pas

Cette pratique, très flagrante chez nous, n’existe pas pourtant dans les pays développés où le client ne paie que ce qu’il consomme et où le commerçant doit lui rendre sa monnaie exacte quelle que soit l’addition. Nos commerçants et nos caissiers de la poste et des guichets de transports doivent avoir de l’appoint en permanence. Parfois, on rencontre des pancartes accrochées au-dessus des guichets portant la consigne suivante : « faites l’appoint S.V.P » ; mais ce n’est pas une raison de priver le client de ses petits sous. « Les petites pièces de la valeur de 5, 10, ou 20 millimes sont indispensables tant qu’elles sont mises en circulation par la banque centrale, nous a déclaré un banquier, le fait que certains commerçants ne les rendent pas à leurs clients ne veut pas dire qu’elles sont introuvables ou retirées du circuit monétaire. Le commerçant peut s’adresser à tout moment à la banque pour se procurer le montant qu’il désire sous forme de petites pièces de 5, 10, ou 20 millimes. »

Pour éviter ce problème d’appoint et de monnaie rendue, des machines automatiques ont été installées dans les gares, les parkings et les stations de péage sur les autoroutes où il n’y a pas de monnaie à rendre car le client doit introduire le montant exact dans cette machine pour obtenir son ticket. Mais cette méthode n’est peut-être pas si facile à adopter dans les différents commerces où il y aura toujours ce manque de petites pièces dans les caisses des épiciers ou des boulangers. Si certains clients ferment les yeux sur de telles pratiques, d’autres ne tolèrent pas que ces commerçants s’enrichissent davantage en augmentant leur marges bénéficiaires tout simplement parce qu’ils ne peuvent (ne veulent !) pas rendre la petite monnaie à leurs clients !

Hechmi KHALLADI