Par Slim BEN YOUSSEF

L’affaire Belaïd-Brahmi, procès-fleuve le plus important dans l’Histoire de la Tunisie, a connu, cette semaine, un développement non négligeable, pour ne pas dire majeur : quatre condamnations à mort et neuf peines de prison, qui varient de huit ans à perpétuité, prononcés contre douze accusés dans l’affaire de l’assassinat de Chokri Belaïd.

Un verdict forcément important. Importantissime.

Mais, au fait, qui a tué Chokri Belaïd ?

Malheureusement, la réponse à cette question n’est que trop « partielle » dans le prononcé du jugement, aussi importantissime soit-il. Onze années après l’assassinat, douze hommes de main –garçons de course, tueurs à gage, exécutants – sont, certes, déclarés coupables et seront punis en conséquence. Mais que l’on soit clair : les cerveaux de l’opération, autrement dit les commanditaires de l’assassinat – bien que connus de tous – restent toujours dans la nature.

Fait surprenant : Ennahdha réagit au verdict avant tout le monde. Avant la famille, avant le Watad, avant le comité de défense. Plus surprenante est encore sa réaction : le jugement est quasiment fêté comme une victoire ; comme quoi, en l’absence de preuves attestant des liens de complicité directe avec les douze accusés reconnus coupables, le parti se verrait « innocenter » par la justice. Dans un communiqué-tartine, le parti islamiste va jusqu’à vanter à discrétion les mérites de cette justice ; celle-là même qui, d’habitude, est fustigée comme une « machine assujettie par le pouvoir en place » et dont l’unique objectif est de coffrer les cadres du parti. Ennahdha qui, dans son angoisse non seulement d’être coupable mais surtout de passer pour l’être, s’embourbe de plus en plus dans sa spirale criarde de culpabilité. Sa réaction, aussi bizarre que surprenante, démontre-elle une fois de plus qu’elle serait de facto coupable ?

Seule la suite du procès le prouvera.

Dans tous les cas, le prononcé du jugement dans l’affaire de l’assassinat du martyr emblématique de la gauche tunisienne laisse un indubitable goût d’inachevé. Toujours est-il que ce goût d’inachevé ne doit en aucun cas minimiser son importance. Bien qu’il ne révèle pas toute la vérité sur l’assassinat, ce verdict fait assurément date. Et pour l’apprécier à sa juste valeur, il suffit de penser aux efforts titanesques entrepris, des années durant, par une pléiade parmi les meilleurs avocats de la gauche tunisienne, qui ont travaillé d’arrache-pied pour arriver à un tel résultat. L’occasion de saluer aussi le rôle joué par les forces vives de la société civile, avec en première ligne la centrale syndicale et la presse nationale, qui, malgré les tribulations politico-politiciennes des dix dernières années, ont été perpétuellement à l’affût, ayant toujours su maintenir l’affaire des deux martyrs à la tête des préoccupations de l’opinion publique.

La question « Qui a tué Chokri Belaïd ? » est une flèche qui doit retourner à son point de départ pour raconter sa cible : un martyr qui tombe, le sang qui coule, une main qui exécute, un cerveau qui commandite.

« Qui a tué Chokri Belaïd ? » est surtout le fil qui cherche toujours à se construire dans ce procès inachevé. Attention à ce qu’on ne perde pas le fil du procès.