Plusieurs métiers liés à l’artisanat sont aujourd’hui menacés de disparition. Une triste réalité qui déplait fortement aux artisans qui chérissent tant cette profession et aspirent à des jours meilleurs. Malgré la modernisation du secteur du textile et une compétition à armes inégales, le tissage traditionnel des nattes par exemple continue toujours de résister à l’automatisation. Transmise de père en fils, cette tradition artisanale n’est pas encore vouée à la disparition.

Cet artisanat qui a connu ses heures de gloire à la fin du 19ème siècle, avait presque sombré dans l’oubli lors de l’introduction de tissus de confection industrielle, avant de renaître de ses cendres. Ces nattes qui couvrent les parquets des mosquées et des mausolées , les entrées des maisons, les banquettes des cafés sont étalées au milieu des patios ou sur les terrasses. Ces nattiers sont bien déterminés à perpétuer ce métier très ancien dans le quartier du Rbat à Nabeul.

Des bottes de joncs

Les ateliers, souvent attenant à la maison, sont signalés par des bottes de joncs dressés devant le seuil, jaune, vert, bordeaux et bleu violet. Le jonc vert (smar) se récoltait entre la mi-juin et la fin juillet dans les sebkhas et sur les bords des oueds aux environs de la ville de Nabeul. En effet, sa préparation pour le tissage nécessitait savoir-faire et grande patience. Les joncs sont triés selon les teintes, la taille et le calibre pour assurer l’homogénéité de la  trame et l’unicité tinctoriale de chaque pièce. Puis le nattier s’applique à teindre les joncs de différentes couleurs afin de constituer le stock nécessaire pour l’année.

Une fois les fibres prêtes à l’emploi, les artisans peuvent commencer à tresser l’objet. Cette étape nécessite dextérité et précision. Ces artisans  travaillent accroupis, le métier étant tendu horizontalement devant eux à peine surélevés du sol; c’est avec leurs doigts qu’ils font passer les fibres de la trame entre les fils de la chaîne, les doigts jouant ici le même rôle que la navette dans un métier ordinaire. Un travail patient et méticuleux fait à la main de bout en bout.

Une offre variée et une demande toujours aussi forte. Cela prouve que le tissage traditionnel des nattes a encore de beaux jours devant lui comme l’assure , un tisserand d’art traditionnel  au quartier du Rebat qui affirme qu’il a pu, grâce à ce métier qui se perpétue de père en fils, élever une fratrie de six enfants. Et comme disent tous les artisans de Nabeul et du monde : Si l’artisanat ne permet pas toujours à celui qui l’exerce de devenir riche, il lui permet à coup sûr d’être à l’abri du besoin.

Nattes et couffins

L’artisanat des nattes et des couffins représente un axe de développement assez important pour les artisans nabeuliens qui continuent à préserver ces métiers. La commercialisation des produits finis se heurte à plusieurs difficultés notamment la concurrence des produits manufacturés essentiellement les fibres industrielles et la plastique. Les enjeux du secteur des fibres végétales sont multiples. Il suffit de préserver le patrimoine naturel et culturel, valoriser la flore et garantir l’emploi et les revenus pour les artisans. Plusieurs problèmes menacent les artisans. Le refus des jeunes de s’investir dans ce secteur, la faiblesse des revenus, la concurrence des produits industriels, le manque des matières premières à cause du problème de l’eau, le coût élevé de la production, autant de facteurs qui nuisent à cette activité et nécessitent l’élaboration d’études stratégiques susceptibles de l’aider à dépasser cette crise durable.

Mohamed, un vieux artisan, estime que l’art du tissage de la natte traditionnelle est transmis comme un trésor de père à fils . Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques connaisseurs fortunés qui apprécient encore les nattes. Alors les jeunes ne veulent plus apprendre le métier sous prétexte qu’il n’a aucun avenir. La  survie de l’activité de certains est due beaucoup plus à son amour pour le métier et son désir de lutter contre le dépérissement de cette activité héritée de génération en génération que ce qu’elle lui permet de générer comme revenu

«Aujourd’hui, la vannerie est plus décorative qu’utilitaire et la concurrence des matières synthétiques nous a fait perdre de grandes parts du marché. Pourtant, il n’y a rien à comparer entre la fibre végétale authentique, biodégradable, et le plastique. Ce dernier se détériore et ne dure pas. D’ou le necessité de revaloriser ce métier qui innove de plus en plus», affirme Hédi.

Entre tradition et innovation : l’artisanat bouge

Pour sauver ce métier,  l’Office national de l’artisanat tunisien (Onat) œuvre pour revaloriser le tissage des nattes comme l’a souligné Sana Mansour Ezzine, déléguée régionale de l’artisanat à Nabeul . « Notre objectif consiste à donner au métier de la sparterie une dimension internationale et à valoriser son rôle dans l’enrichissement du patrimoine culturel national tunisien . Avec leurs nombreux atouts, les fibres végétales  notamment les nattes de Nabeul disposent d’un fort potentiel pour conquérir les marchés. Pour revaloriser ce métier, notre hub organise des sessions de formation pour les artisans qui veulent innover. »

C’est le premier coworking space en Tunisie spécialisé dans l’artisanat et le design ,géré par l’association Cluster Art de la table Nabeul en partenariat avec L’ONA. Le Hub Design Nabeul offre une panoplie de services d’accompagnement, d’incubation, de formation, de réseautage, de prototypage, d’impression3D aux artisans, designers, étudiants en arts et créateurs et passionnés d’artisanat et ce à travers des coopérations avec les différentes structures : La fondation Swisscontact en Tunisie (Programme TAKWEEN), l’UTSS  (Programme CO’ART) Créative Tunisia (Programme réalité économique -broderie /habillement Nabeul -Hammamet ) et Cawtar (Projet de partenariat avec l’AECID, intitulé « leadership transformatif pour une gouvernance locale inclusif »).

« Nous continuons à encadrer les artisanes  de Somaa et Menzel Témime qui utilisent les feuilles de palmier plus connues sous le nom de Joumar. La tendance des accessoires en fibres 100 % végétales se confirme cette saison. Smar, ou encore fibres de palmier, les fibres végétales sont nombreuses ! Elles s’utilisent aussi bien en déco qu’en prêt-à-porter. Même les bijoux, les fechkas du zhar et   les cartables, se font maintenant en smar », poursuit Sana Mansour Ezzine.

La touche de Rahma

Plébiscité par les plus grands noms de la mode, mais aussi du design, le smar, fibre végétale a fait son retour dans l’artisanat d’art. Coloré ou brut, assemblé à d’autres matières comme le cuir ou la céramique, comme vêtement ou revêtement de surface… Tout prétexte est bon à utiliser ce smar. Malléable, cette fibre végétale aux multiples vertus se transforme d’un simple geste en cordages et autres tissages.

Avec dextérité, la jeune Rahma Bououn dompte la fibre pour la transformer en matière à création et donne à voir des pièces douces mais étonnantes. Cette jeune designer insuffle une nouvelle vie au smar en produisant des pièces contemporaines d’une élégance intemporelle, combinant tradition et modernité dans chaque création.

« Je mêle ces fibres pour multiplier les possibilités de motifs et de performances. J’essaie de marier le smar au cuir, à la céramique ou au verre. La  décoration végétale est de plus en plus mise à l’honneur, elle envahit notre intérieur et c’est tant mieux. Le smar se réinvente pour trouver sa place dans de multiples types d’intérieur… et d’extérieur ! Avec les tendances de décoration bohème, nature ou encore inspirées de voyages, les objets en smar s’inscrivent pleinement dans l’air du temps comme les supports des bougies, les verres à thé, les corbeilles, les carafes d’eau…Des productions artisanales tendances donc, mais qui en Tunisie ont aussi une vocation sociale, puisque cet artisanat contribue à soutenir l’emploi  et à apporter un revenu aux femmes. Nos produits  ont beaucoup plu à certaines grandes maisons européennes. Aujourd’hui, je travaille de façon artisanale et j’aime ça.» souligne Rahma qui semble avoir trouvé la recette pour réconcilier savoir-faire ancestraux et innovation technologique. Un concept voué à inspirer une nouvelle génération d’entrepreneurs pour explorer de nouvelles voies valorisant l’artisanat Made in Tunisia. »

                                               Kamel BOUAOUINA