Par Mansour M’henni

 

On l’a compris, sans doute, le titre de cette chronique est inspiré par celui d’un slogan de la révision de l’enseignement, ayant prévalu à la transition entre les XX° et XXI° siècles, celui de « Demain, l’école ».

Ce dernier slogan a d’ailleurs inspiré à Frédéric Castaignède un livre le reprenant pour titre, publié en 2018 et considéré comme un « passionnant tour d’horizon mondial [mettant] en lumière les apports des sciences cognitives dans l’éducation ».

« Aujourd’hui, les intellectuels ! » est plus qu’un appel, une injonction peut-être, à faire valoir le rôle des intellectuels et à recourir à leurs services pour essayer de résoudre la crise, dans un secteur, dans un pays ou dans le monde.

Cependant, pour ce faire, il conviendrait de partir d’une relativisation du statut, de la nature et de la démarche de l’intellectuel en société, donc d’une (re)définition de l’intellectuel et de la mise en évidence de la nature de son rôle dans l’entre-deux de la pensée et de la politique.

Pour rester en Tunisie, car c’est elle qui nous intéresse aujourd’hui, il y a lieu de relever la déception et le fossé profond qui commandent la relation de l’intellectuel à la conscience citoyenne, celle-ci remplaçant pour nous le concept d’un mot comme « le peuple » devenu l’objet et le cheval de bataille de toutes les manipulations, idéologiques, sectaires, bref toutes politiques directement ou indirectement.

D’abord, les médias aidant, la désignation « intellectuel » est désormais employée, à tout bout de champ et à n’importe qui, si bien qu’on l’entend utilisée pour le plus modeste chroniqueur de circonstance ou pour le dernier des activistes politiques en perte de crédibilité.

On comprend alors pourquoi aujourd’hui, non seulement chez nous mais ailleurs dans le monde aussi, on a la conviction que « l’intellectuel », tous genres confondus « est devenu une figure de la réaction », selon l’expression d’Alain Badiou.

En effet, les voix cacophoniques de nos intellectuels sont à présent intégrés dans les conflits en cours pour en attiser les feux et en passionner les spectacles.

Plus même, certains d’entre eux se créent des occasions d’animosité interne et, plutôt que de chercher à rassembler l’ensemble autour d’intérêts partagés et d’une perception pacifiste du vivre-ensemble, se laissent aller à des manigances et à des calomnies ayant pour objectif de dévaloriser autrui afin de se faire une place au petit soleil brouillé d’un ciel nettoyé de toute lumière.

Allez voir la plupart des lieux de tension dans notre pays, vous trouverez des dits intellectuels directement ou indirectement impliqués dans l’aggravation des choses.

Pourtant, les choses iraient mieux si ces intellectuels, et tous les autres, commençaient par se poser la question de leur rôle et de la meilleure façon de l’accomplir, dans l’humilité nécessaire, celle de relativiser leur propre savoir et même leur intelligence, plutôt que de s’entêter sur des prérequis tenant lieu de convictions indiscutables.

Ils contribueraient alors à l’édification collective de l’éthique et de la pratique d’une nouvelle voie vers le meilleur vivre-ensemble possible.

Tel serait en fait, le vrai rôle et le rôle obligé des intellectuels aujourd’hui.

Il est donc temps d’œuvrer à corriger la réputation de l’intellectuel et de l’académicien pour aider à « réfléchir à la manière dont la politique et la pensée peuvent s’articuler aujourd’hui », dans une ambiance de conversation rationnelle, respectueuse et constructive, plutôt que sous le label d’un dialogue qui finit par s’avérer un dialogue de sourds.