C’est l’histoire du Merlan en colère, invention de la très nombriliste gastronomie française : le poisson fris est servi est disposé dans le plat concocté par le cuistot de sorte à ce qu’il ait la queue dans la bouche. Le poisson est comme fâché d’être sorti de de la mer. Abdelkrim Harouni est fâché d’être sorti de la clandestinité des temps de « Zaba » et d’être offert dans un plat à la démocratie. La démocratie lui fait donc mordre la queue et, sans crier gare, il met le pied dans le plat !
Etant le congélateur idéologique de son maître à penser, voilà qu’il fait injonction au gouvernement d’activer le prétendu « Fonds de la Dignité », un Fonds pour dédommager les islamistes persécutés par Ben Ali. Trois milliards de dinars : c’est presqu’à hauteur de la première tranche de la dette que doit honorer la Tunisie.
A la limite, nous serions dans les westerns de Clint Eastwood : « Et pour quelques dollars de plus ». Ce sont les colts qui parlent. C’est aussi, la guerre pour le butin.
On pourrait mettre ça sur le compte d’un trouble émotionnel ressenti par le très honorable pseudo-patron du Conseil de la Choura. Il sent que le vent a tourné. Il sent que la mainmise sur le pays depuis 11 ans est en fin de cycle…Mais dans ce genre de victimisation, on n’est jamais assez rassasié. L’administration et la fonction publique sont surpeuplées de « militants » nahdhaouis, ce qui nous vaut des blocages avec le FMI. « Le militant », le cousin, le beau-frère, le beau-frère du beau-frère et tutti quanti sont partout dans le public. Et, les pauvres !, ils bossent fort : 8 minutes de travail par jour, et ça fait contagion. La fonction publique a été réquisitionnée pour les seconds couteaux. Certains grands « saigneurs », eux, seraient dans les affaires, nouveaux rentiers, mais toujours avec des prête-noms.
On ne sait pas pourquoi M.Harouni se mord la queue. Ça a même déplu aux autres mititants s’étant fait un point d’honneur à ne guère réclamer de dédommagements. C’est qu’il y a aussi d’autres victimes de la dictature, des morts et des blessés de la révolution. Non, comme Gargantua, Harouni veut tout bouffer à lui seul.
Le dévot, l’homme pieux qu’il est se met dans les « sacrements » des sept péchés capitaux.
A l’évidence, il n’a jamais entendu parler d’un certain Nelson Mandela qui trouvait abject d’être indemnisé pour 27 ans de geôles. Il est vrai que le combat islamiste est plus noble qu’une lutte de plusieurs siècles contre l’Apartheid. Qu’à cela ne tienne : vite le fric !
Hamma Hammami, par exemple ne veut pas d’indemnisation (en catimini, il ne fait pas la bouche fine) : au moins un qui ferait comme Bourguiba, même si le Zaim n’a jamais été au Roland Garros. Encore heureux que des Nahdhaouis ayant le sens de la mesure, comme Zitoun, Dilou et autres El Mekki et bien d’autres, ne soient pas dans la logique du butin. Au moins, un contrepoids au délire harounien.
Mais, délire pour délire, la sortie de Harouni n’est pas sans évoquer ce joujou confié à Mme Sihem Ben Sedrine et répondant au nom de : IVD, Instance de la Vérité et de la Dignité. Au nom de la réparation de l’Histoire, elle a installé un tribunal de l’inquisition. Comment réparer les torts de l’Histoire ? Déplumer l’Etat !
Abdelkrim Harouni n’en pense pas moins. C’est « la Dignité » même. Pour le moment, ses frères d’armes lui reprochent cette sortie. Ce n’est pas le moment, et on a vite trouvé des atténuantes à leur compagnon : « ses propos auraient été sortis de leur contexte ». Harouni tempèrera ses ardeurs. Du moins, pour le moment. En attendant de nouvelles revendications, il se paiera peut-être, un Merlan en colère !
Raouf Khalsi