On pouvait parfaitement deviner que le pamphlet de Joseph Borell reflétait la perception qu’ont les Eurodéputés de la situation politique en Tunisie. Un moment, en suivant les interventions en direct et les péripéties de cette plénière, nous nous sommes quelque peu illusionnés. Parce que nous n’avons pas assisté à un débat réellement contradictoire. Sauf qu’il faut aussi connaître le mode de fonctionnement de ce Parlement :  le ton tout en oxymores, clairsemé, les tours de passe-passe et, finalement, les pesanteurs des véritables enjeux.

Hier, quelques points de la résolution ont été modérés, édulcorés même, mais le fond, l’exposé des motifs constituant la charpente de cette résolution, ne changeaient pas d’un iota.

Le Parlement européen a eu beau voter les mécanismes de soutien aux citoyens tunisiens, appeler à renforcer l’action de la Société civile et plancher sur l’égalité hommes-femmes. En cette conjoncture économique précaire, avec des agences de notations qui rabaissent allègrement notre  note souveraine, les vannes resteront fermées. Ce sera, tout au plus, un soutien au compte-gouttes, ce qui décuplera l’asphyxie de l’économie tunisienne.

C’est le tribut à payer. Fortes dépendances vis-à-vis des bailleurs de fonds, flou artistique de notre part, parce que cette maudite feuille de route, à l’évidence, Kais Saied n’a guère l’intention d’y adhérer. Le Dialogue ? Ce sera avec les jeunes, « ses » jeunes à lui.

Pour autant, il n’est pas évident que cette résolution ait des chances d’infléchir la position présidentielle en ce qui concerne « le débat inclusif » auquel appelle le Parlement européen.

Cela fait que le souverainisme napoléonien de Saied se heurte à ces partenaires qui n’y voient que des épanchements dictatoriaux.

Saied a une conception révolutionnaire de la démocratie. Eux, ne sortent pas des gabarits classiques : la démocratie représentative, quitte à rétablir dans ses droits, un Parlement ayant sévi avec une insoutenable arrogance, alors que le bateau prenait l’eau de toutes parts.

Sauf que la Tunisie de l’après 25 Juillet ne saurait se permettre une cassure diplomatique. Elle ne saurait se permettre de sortir du concert international, pas plus qu’elle ne puisse se réinventer un régime atypique. C’est, du moins, l’idée que se font de nous les démocraties occidentales. Car c’est maintenant qu’elles se ravisent que la démocratie tunisienne, la seule au monde arabe, est à haut risque. Or, ce risque, ce n’est pas Kais Saied qui le provoque. Car, tout compte fait, elle battait de l’aile depuis que les tribuns récupérateurs en ont fait une espèce de cheval de Troie dont sont sortis des flibustiers de l’enfer. Et cela aura duré toute une décennie. Sauf que, dans sa rage, Saied ne s’attaque qu’aux conséquences. Pas aux origines du mal.

Raouf Khalsi