Alors que les autorités peinent encore à trouver des alternatives pour boucler le budget de l’Etat de 2021, les économistes divergent sur les solutions à mettre en place pour surmonter cette crise aigüe.
Ainsi, certains experts soulignent que ces solutions devront être trouvées à court terme, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, tandis que d’autres estiment que cette crise doit être résolue sur le long terme, par une décision politique. Ils recommandent, dans ce sens, de repenser le modèle de développement et d’engager des réformes économiques et politiques capable de susciter l’intérêt des partenaires financiers internationaux.
Nécessité de trouver des solutions internes et externes pour sortir de la crise
Pour l’expert et l’ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassan, la Tunisie fait face, incontestablement, aujourd’hui à une grave crise financière. Selon l’agence de notation américaine Moody’s, le déficit budgétaire atteindra 7,5% du PIB, en 2021, ce qui veut dire que le besoin en financement représentera 18% du PIB, a-t-il rappelé.
Par conséquent, souligne-t-il, les ressources financières à mobiliser seront » très élevées » et » sans précédent « , d’autant que la Tunisie connait actuellement des mutations géostratégiques et politiques. Néanmoins, a-t-il dit, les solutions existent tant bien à l’échelle nationale qu’internationale, suggérant, à cet effet, de rationaliser les dépenses du gouvernement, notamment celles relatives à la gestion et de reporter les augmentations salariales ainsi que les négociations sociales dans le secteur public.
L’expert a également préconisé d’encourager le recouvrement de l’impôt et de d’opter pour une réconciliation fiscales ave les personnes qui ont de lourdes dettes fiscales mais qui se retrouvent incapables d’honorer leurs engagements.
D’après lui, la production du phosphate, du pétrole et du gaz doit atteindre son niveau maximum, soulignant que cela doit être considéré comme une question de sécurité nationale.
Pour l’expert, la rationalisation de l’importation de certains produits de consommation constitue, aussi une nécessité, appelant à réviser encore l’accord de libre-échange avec la Turquie et l’Union européenne et à augmenter les taxes douanières sur certains produits afin de préserver les secteurs qui sont en difficulté.
Il a, également, appelé à adopter provisoirement une politique protectionniste pour réduire le déficit de la balance commerciale et réduire par conséquence le déficit courant. Il s’agit, également, d’après Hassan, de limiter les pressions sur la balance des paiements afin de réduire le recours à l’endettement et l’épuisement des réserves en devises.
Hassan a souligné la nécessité de reconnaître le fait que la Tunisie a besoin de mobiliser des ressources extérieures, que ce soit pour payer le service de la dette extérieure ou pour financer des achats.
Compte tenu de la situation politique et géostratégique actuelle, la Tunisie n’a d’autre solution que de soumettre au Fonds monétaire international (FMI) un programme de réformes pour relancer la croissance et réaliser les équilibres financiers majeurs. L’objectif recherché est de convenir un programme de réformes et un autre de financement.
La conclusion de cet accord devrait favoriser l’obtention de financements auprès du reste des institutions financières internationales : comme la Banque mondiale (BM) et même faciliter la sortie sur le marché financier international si la vision politique et économique sera claire, estime encore l’expert.
Il a, dans ce cadre, mis l’accent sur la nécessité de dynamiser la diplomatie économique au niveau bilatéral, pour mobiliser des financements auprès des pays amis et frères.
Pour Hassan, la situation à court terme reste très délicate et dangereuse, ajoutant que la solution réside dans l’unité nationale et le partage des sacrifices.
Sur le moyen et le long termes, l’expert considère que le gouvernement de Najla Bouden est appelé à dévoiler un document d’orientation des choix économiques et des visions de développement de la Tunisie au des années à venir.
Ce document devrait porter sur des réformes économiques, des politiques sectorielles, outre la réhabilitation des systèmes de production et le développement d’un climat d’affaires à même de booster l’investissement et les exportations, en plus des réformes des finances publiques, notamment le volet fiscal, la subvention et les entreprises publiques.
Ces réformes devront être accompagnées d’un calendrier et d’une étude de leurs coûts économiques et sociaux tout en mettant l’accent sur le volet social en donnant une priorité absolue à l’accompagnement des familles nécessiteuses et à la préservation de leur pouvoir d’achat.
Appel à un dialogue national sur un schéma de développement et un nouveau système économique
De son côté, le chef du Cercle des financiers tunisiens, Abdelkader Boudriga, a souligné que » cette crise structurelle « , devra être résolue sur le long terme.
Il a souligné la nécessité d’appeler à un dialogue national sur le schéma de développement et le nouveau système économique en Tunisie et de restaurer la confiance des citoyens, des hommes d’affaires et des investisseurs et la confiance envers l’Etat.
Pour y parvenir, la prise d’une décision politique est nécessaire afin de pouvoir engager des négociations avec les partenaires de la Tunisie.
Boudriga a précisé que le dialogue qu’il propose est essentiellement politique, car la solution ne peut être que politique. Et de poursuivre qu’il est nécessaire, selon lui, de clarifier la vision politique et économique qui fixe les objectifs et les orientations.
Le dialogue avec le Fonds monétaire international(FMI) et les pays amis et frères ne constitue pas un point technique, a-t-il encore indiqué, estimant qu’en cette situation actuelle, seule le Président de la République a le pouvoir de prendre le risque, d’annoncer des décisions audacieuses et de déterminer les orientations, et non pas la cheffe du Gouvernement.
Il a souligné que les négociations de la Tunisie avec le FMI sont, aujourd’hui, très en retard faisant savoir que si ces négociations avaient été lancées avant deux mois, on aurait pu parler dans ce cas d’une solution technique mais on a atteint actuellement une phase ou la solution ne peut être que politique.
» Trouver une solution à un problème immédiat: à savoir la clôture du budget, peut être possible, mais il est nécessaire de réfléchir aux transformations économiques de la même manière qu’aux transformations politiques « , a-t-il encore analysé.
Il a rappelé, à cette occasion, son appel lancé à plusieurs reprises, depuis le 25 juillet 2021, pour organiser une conférence nationale ou une consultation nationale sur l’aspect économique, ainsi qu’une autre sur l’aspect politique, en raison de l’étroite liaison entre les deux secteurs.
C’est à partir de là qu’il est possible d’entamer, selon lui, le travail et présenter une vision aux parties avec lesquelles nous travaillons et définir les objectifs visés et les sacrifices communs que les tunisiens doivent partager.
Evoquant la relation de la Tunisie avec les grands groupes géopolitiques mondiaux, Boudriga a rappelé souligné que le pays a une grande relation avec l’espace européen qui ne peut pas être négligé, étant donné que 70 ou 80 % des produits tunisiens sont exportés vers ce marché.
Et d’ajouter : » Nous devons annoncer notre incapacité d’entrer en concurrence avec la Chine et l’Inde car nous nous pouvons pas exporter les produits tunisiens vers ces deux pays mais au contraire on peut assurer des exportations vers l’Europe et l’Afrique.
Dans cette conjoncture, il est préférable d’assurer le retour au travail et de clarifier les choix économiques : le nouveau modèle économique, les grandes transformations que la Tunisie aspire à réaliser dans les domaines socio-économiques et politiques, souligne l’expert. Et de poursuivre que la Tunisie peut négocier avec le FMI, si elle dispose d’un programme clair qui donne un aperçu sur les grandes transformations qu’elle œuvre à réaliser au cours des prochaines années.
Note de la rédaction
Cela dit, on sait que les experts en économie ont des visions systémiques et, quand il s’agit de repenser le modèle économique du pays, ils se rabattent sur les fluctuations conjoncturelles. Le problème, actuellement, ne tient pas uniquement à des opérations ponctuelles. Or, nous devons parer au plus pressé. Reste à savoir quelle approche préconise le Président Saied. On le sait très peu porté sur les « grandes consultations », en dehors de son dada de toujours: le dialogue national, dont les jeunes seraient le point focal. Il est dans le tout social. Et cela induit le social quantitatif, quitte à battre en brèche les indicateurs économiques incontournables. Nos honorables experts tiennent aux trajectoires classiques de notre partenariat avec les pays et les entités traditionnels. Si nous devons concevoir un modèle pour l’avenir, pourrons-nous le faire en sortant des canevas classiques? Explorer de nouvelles pistes, serait souhaitable. Sauf que le Président est plutôt un adepte de bilatéralisme, alors que nos experts réfléchissent en termes de multilatéralisme. Tout un débat.
(TAP + le Temps News)