‘’Paysage naturel’’ la pièce de théâtre jordanienne mise en scène par Dalel Fayadh a réussi un formidable tour de passe-passe entre le réalisme d’un homme et l’idéalisme d’une femme, trop distincts pour être dans une relation ordinaire de couple.
Dans un décor minimaliste et dépouillé faits de chaises disposées en ligne droite, deux personnages, un homme et une femme évoluent sur scène, comme séparés d’une ligne de fond qui fait d’eux deux personnes méconnaissables et dont le dialogue mutuel renforce leur sentiment de solitude et d’incompréhension. Mais la scène n’est pas vide. Elle est occupée par les souvenirs des deux personnages. Ils se parlent mais ne se regardent pas. Chacun d’eux évoque les souvenirs du temps qui passe mais dont la résonance retentit sur les corps et les esprits… selon qu’on est un homme ou une femme.
Quand la lumière de la salle s’amenuise, il faut s’attendre à voir surgir ces deux personnes obnubilées par les mots qui hantent leurs esprits. La gestuelle est répétitive dans un théâtre qui se joue de la répétition, la reprise, la hantise.
La femme s’exprime en poèmes qui ne sont autres que l’expression pure et spontanée du monde qui l’entoure. Toute la fragilité humaine est là, bouleversante et infiniment riche. Quand elle retrouve ses mots perdus, enfouis au fin fond de sa mémoire, ses mots qui fusent et s’égrènent, charrient amour charnel et rêveries …
Violence du silence et du non-dit
Lui, parle du chien, du bar et de la maison. Elle, parle de poésie, de rêves et d’illusions parfois même de ses fantasmes et on ne sait pas si elle parle de la personne qui s’installe en face d’elle ou d’une autre personne. Leurs histoires se rassemblent pourtant, se rencontrent et s’entrelacent dans une relation de couple qui laisse transparaître une confusion de situations traduite par leurs différences à percevoir leur relation et le sentiment d’amour qui devrait les unir. Cette mise en abîme des personnages met en relation deux êtres qui parlent de leur vie de couple mais différemment, qui d’un plaisir d’amour charnel qui d’un quotidien banal fait de la platitude du réel. Le tout débouche sur un non-dialogue qui renforce le sentiment de solitude de chacun et sa souffrance face à la dure réalité. Les deux personnages protagonistes brillamment campés par Dalel Fayadh et Bakr Zaabi se sont adonné chacun de son côté, à un monologue ou plutôt à un soliloque qui parle du quotidien mais différemment selon la sensibilité de chacun. Ils étaient convaincants en ce sens où ils ont pu traduire la violence silencieuse et sournoise qui s’installe dans les relations de couple notamment quand on ne possède pas les mêmes outils d’appréhension du monde qui nous entoure.
Un texte du dramaturge anglais Harold Pinter ?
Cette pièce de théâtre est une adaptation de « Paysage » ( Landscape ) qui nous rapproche du théâtre d’Harold Pinter où l’on est face à un univers fait de « sous-entendus, de mal-entendus et de pas entendus du tout et où des personnages végètent confusément et dont on ne sait absolument rien » mais qui le temps d’une pièce sont réduits à leurs sentiments de solitude face à l’Altérité. Dans cette pièce de théâtre en un seul acte il n’y a pas d’intrigue mais plutôt un déroulement linéaire d’un discours sans début et sans fin. Dans cette adaptation que signe Dalel Fayadh l’histoire se solde par un retournement de situation puisque les deux protagonistes se regardent droit dans les yeux pour que le personnage féminin reprenne des propos de son conjoint et les répète d’une manière machinale mais sans les comprendre. Dans ce théâtre de l’absurde on aime cette ambigüité dans laquelle sont plongés ces deux personnages et cette capacité à créer un dialogue basé sur le non-dialogue qui retient de par la violence du silence dont il est porteur et de par la solitude qui caractérise des êtres qui se parlent sans s’écouter. Et comme l’a dit si bien un critique « dans ce théâtre rien ne se passe mais beaucoup est exploré. »
Mona BEN GAMRA