Par Raouf KHALSI

« Les passionnés ont vécu, les sages ont duré », dit un adage. Dans ce tourbillon de polémiques acerbes, en pleine conjoncture socioéconomique presqu’intenable, les citoyens tunisiens vivent péniblement leurs magmas existentiels. Et, alors, taraudés entre l’espoir d’une lueur dans la grisaille et le spectre d’une spirale dépressive, voilà que leur vécu quotidien est envenimé par des surenchères politiciennes.

La fin de la dictature, janvier 2011, aura sonné la défatalisation de l’Histoire. C’est que ce peuple, qui aura subi tous les renversements durant son histoire trois fois millénaire, et toutes les conquêtes aussi, sait aussi se souvenir qu’il est, quelque part, fier, altier, s’il le faut. Et il sait s’assumer. Attention à un peuple qui dort : c’était cela la grande leçon de 2011 ! Se doutait-il que, dix ans après, il allait assister (ou assumer ?) une nouvelle défatalisation de l’Histoire, se libérer de ceux qui prétendaient reformater son modèle de vie, en exhumant les recettes d’une religiosité outrancière remontant à quatorze siècles lumières ?

Du coup, au lieu du foisonnement d’un débat fécond pour l’avenir, voilà que nous retombons dans les mêmes avatars. Les mêmes thématiques passionnelles comme si,  en dix années d’overdose politicienne, dix bonnes années de ploutocratie, notre vertu ne s’y était pas usée !

Posons une question toute simple : le 25 juillet n’a-t-il pas eu aussi une dimension libératrice ? N’est-ce pas aussi un impératif historique ?

Kais Saied a sans doute choisi le chemin le plus difficile à parcourir. Parce que, passées les premières semaines de ferveur, les injonctions venant de l’extérieur commençaient à fuser, « craignant pour la seule démocratie au monde arabe (sic) » et exigeant le retour du parlement le plus surréaliste de l’histoire des démocraties, justement…

Intra-muros, il est clair que les partis ont mis du temps à se positionner par rapport à la nouvelle donne. Il n’est pas dit que tous les partis soient mauvais, où qu’ils soient compromis dans la connexion politico-affairiste. De son côté, le Président de la république a choisi de faire cavalier seul, de mettre à exécution sa propre feuille de route, et qui ira à terme le 17 décembre 2022. Sauf qu’il fallait aussi rétablir l’Etat dans ses droits. Pour l’heure, un Etat-providence est un luxe que nous ne pouvons pas nous payer. Un Etat de droit, s’appuyant sur la deuxième grande muette qu’est l’administration, si. Et, pour cela, la Justice doit parler à son tour. Un Etat de droit avec une Justice borgne, c’est tout simplement une chimère.