La nouvelle exposition « Légendes anonymes » de l’artiste peintre, Olfa Daoud, met en lumière ses œuvres à l’Espace In’art Sidi Abdallah à Hammamet. La démarche de l’artiste témoigne d’une fascination pour l’univers qui nous entoure. Son œuvre est mue par le désir de générer la sensation d’étendue, du vaste, de l’horizon. Pour se faire, elle crée des œuvres qui dialoguent entre elles et qui mettent en évidence ce qui est ici, là et maintenant.
A travers son exposition, Olfa Daoud essaie d’interroger le réel. Elle ouvre les portes d’un monde poétique, empreint d’une étrangeté saisissante. Les œuvres présentées proposent une réflexion sur les fragments de notre réel. Ce sont des espaces, des arêtes, des formes, exprimés par des assemblages et par le jeu de la ligne qui construit un horizon ou qui le révèle.
C’est quoi le réel ? Comment est-il percevable objectivement ? Est-ce une totalité ou un ensemble de fragments ? Le réel est-il unanime ou serait-il plutôt une multitude de réalités que tout un chacun perçoit différemment ? Le réel serait-il un agencement de nos sens, de nos attentes, de nos aspirations et de nos projections ?
« J’étais souvent soulevée par ce genre de questions qui vérifient une continuelle ambiguïté du réel, car rien ne nous rassure que le réel est vrai et objectif ou inséparable de notre imagination. », relève Olfa Daoud.
Et d’expliquer : « J’ai toujours eu l’impression que nous appréhendons un réel que chacun de nous configure par un vécu complexe de rapports à soi et aux autres, à l’amour comme à la haine, aux croyances, à la foi et à la religion, à la politique et aux idéologies, aux rêves, aux fantasmes, à la sexualité, aux manifestations de nos corps et aux manifestations artistiques, que le genre humain n’a cessé d’interposer dans une réalité souvent configurée comme lourde et implacable. Le réel me semble mieux supporté, quant il est considéré en fragments ; peut-être, pour douter de sa réalité même, ou bien pour relativiser son ampleur à l’instar d’un vécu débordant. »
Pour Olfa Daoud, l’approche plastique est vivement impactée par son appréhension du réel, par sa perception et par ce qui serait capable d’influer son imaginaire. « Ma pratique artistique est une découpe intermittente de morceaux consistants de mon vécu, peut-être pour voir ce que mon imaginaire est capable de confirmer ou d’infirmer comme le contenu d’une réalité saisissante. Mon appréhension plastique du réel n’est pas seulement problématique, elle est apaisante. Il s’agit d’une place faite à l’évasion et à la beauté, une sorte d’ouverture sur un monde parallèle. Cette évasion figure dans ce que renferme ce réel fragmentable comme potentiel de reprise et de mutation. Ainsi, ma démarche plastique découpe des fragments épars, voulus dissemblables dès le départ pour une potentielle reprise, à l’instar d’arrêts sur image, une sorte de réconciliation entre l’entendement et l’imagination, entre une reprise qui conserve les éléments du réel, et une mutation qui les transgresse. Je conçois cette démarche dans une continuelle reprise et mutation de ces éléments figurés dans la réhabilitation d’un monde plus ouvert. C’est dans ce monde indéterminé, métaphysique ou abstrait que finit l’autorité du réel. Mon approche plastique cherche, entre autres, à entretenir le moment poétique qu’elle me procure, à débusquer l’être imaginaire enfoui en moi, se voyant capable pour ce moment, de pétrir et de détourner, sans pour autant nier complètement le réel ou le faire disparaitre. »
Mon approche plastique se transmet dans des expériences voulues dissemblables, en tant que figures d’un réel équivoque. Elle est bigarrée selon la consistance de ce réel et selon ce qu’il me procure comme assises. La réalité ne m’est jamais la même ; elle est imprévisible, loin d’être rassurante jusqu’au point ou l’on doute d’elle, ainsi. Mon travail l’invoque tout en la préservant.
Et d’ajouter : « Le propos de ma démarche est de solliciter mon imaginaire, mais aussi celui du spectateur dans la recherche d’une expérience renouvelée, une expérience qui découpe ces fragments pour en figurer à chaque fois une pratique divergente. Si ma démarche plastique semble évoquer une certaine discordance thématique en apparence, il n’en reste pas moins qu’elle soit compromise dans une logique herméneutique, considérant le réel comme une potentielle matrice.
J’ai encore la conviction que les moyens traditionnels, graphiques et picturaux, ne feront jamais un objet de désuétude. S’il est vrai que l’art de notre ère contemporaine s’est déployé dans tous ses extrêmes pour exhiber ses aspects les plus bouleversants, il n’en reste pas moins vrai que les « techniques d’autrefois », telles que la céramique, la sculpture, la gravure, la peinture (etc…), se procurent une expressivité abondante capable d’interposer des réalités bouleversantes, à travers une évolution qui se crée, mais qui ne devrait pas faire table rase du passé. L’innovation dans le domaine artistique ne démentit en rien l’ouverture aux pratiques existantes.
Ces fragments rétorquent, selon mon point de vue, le réel même, par leur qualité picturale. Ils s’interposent à la prolifération des images. Ce que j’entrevoie dans ces fragments n’est qu’une vision intime bien qu’active, impliquant un esprit attentif, cherchant à décrypter le potentiel artistique que comporte un réel mitigé. », conclut-elle.
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