La Chambre nationale de l’industrie pharmaceutique (CNIP) a exprimé, dans un communiqué rendu public hier, son rejet catégorique la mesure figurant dans la loi de finances 2022 relative à la suspension de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable sur les médicaments importés ayant un équivalent local et à la baisse des taux de droits de douanes de 30% à 0% sur un nombre important de médicaments durant deux ans.
«Cette mesure de suspension de la TVA et de baisse des droits de douanes au profit des médicaments importés ayant un similaire local vient en totale contradiction avec la politique déclarée d’encouragement de l’Etat à la production nationale de médicaments , mais aussi avec l’esprit de la loi de finances 2022 qui encourage la fabrication locale à travers l’augmentation des taux de droits de douanes sur un certain nombre de produits ayant un équivalent local », a souligné la chambre qui défend les intérêts des industriels tunisiens opérant dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, tout en rappelant que la suspension de la TVA et baisse des droits de douanes au profit des médicaments importés ayant un similaire local vise à réduire les difficultés financières de la Pharmacie Centrale de Tunisie (PCT). Et d’ajouter : « Cette mesure vient aussi aggraver le biais concurrentiel dû au fait que les médicaments importés ayant un équivalent local sont actuellement compensés par la Pharmacie Centrale de Tunisie au détriment de la production locale, compensation dont nous continuons de réclamer la levée ».
La Chambre nationale de l’industrie pharmaceutique rappelle d’autre part qu’elle a toujours revendiqué «la nécessité de rétablir l’équité en matière de TVA entre les médicaments fabriqués localement et tous les médicaments importés d’une part et la résolution du problème systémique de crédit de TVA chronique supporté par les industries pharmaceutiques qui investissent ».
Indiquant que les difficultés financières de la Pharmacie Centrale de Tunisie ne peuvent être résolues qu’à travers des solutions robustes et durables en procédant à des réformes en profondeur, la chambre considère que « les nouvelles mesures figurant dans la loi de finances 2022 ont été décidées au détriment de la fabrication locale sans pour autant résoudre durablement difficultés de la Pharmacie Centrale ».
Pénurie de médicaments
LA Pharmacie centrale souffre d’un déficit chronique et peine à honorer ses engagements vis-à-vis de ses fournisseurs étrangers, ce qui a généré des pénuries récurrentes et des ruptures de stocks d’un nombre important de médicaments.
Selon proches du ministère de la Santé, la pénurie de médicaments touche plus de 500 produits, dont une proportion non négligeable sont classés vitaux comme les antihypertenseurs, les antidépresseurs ainsi que les traitements contre le cancer, le diabète, l’épilepsie ou encore la maladie de Parkinson…
Fin septembre dernier, le directeur général de la pharmacie centrale, Béchir Yermani, a reconnu une pénurie de médicaments, indiquant qu’elle s’explique notamment par des pressions au niveau du marché mondial en plus de la contrebande et du manque de certaines matières premières nécessaires pour l’industrie pharmaceutique. Dans une déclaration accordée à la chaîne nationale Al Watania 1, il a fait savoir que « le stock de certains médicaments ne couvrait qu’un seul mois ».
Mais l’augmentation de la demande mondiale des médicaments n’explique pas tout.
«Les fortes tensions enregistrées dans le domaine d’approvisionnement en médicaments s’expliquent notamment par l’incapacité de la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) à payer ses dettes envers les laboratoires et les fournisseurs étrangers », explique Naoufel Amira, le président du syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (Spot), indiquant que cet organisme qui détient le monopole de l’importation des médicaments en Tunisie traîne des dettes estimées à 750 millions de dinars.
Selon le responsable syndical, la détérioration des équilibres financiers de la Pharmacie centrale a commencé en 2015, lorsque les autorités ont fait le choix de privilégier le versement des pensions de retraite en puisant dans les ressources de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM).
L’endettement de la Pharmacie centrale s’explique en effet par une boucle de non-paiement. En effet, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) doivent plusieurs milliards de dinars tunisiens à la CNAM. Celle-ci doit à la Pharmacie centrale plusieurs millions de dinars. Qui, elle, doit à son tour plus de 750 millions de dinars à ses fournisseurs étrangers. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que le président du syndicat des pharmaciens d’officine estimé que seul l’Etat est désormais capable d’apporter une solution aux pénuries récurrentes des médicaments en lançant une réforme profonde des régimes de sécurité sociale.
Le marché des médicaments en Tunisie est estimé à environ 2,5 milliards de dinars par an. Les importations assurées exclusivement par la PCT représentent 47,5% de ce marché tandis que la part des médicaments fabriqués par les laboratoires pharmaceutiques implantés en Tunisie s’élève à 52,5%.
La PCT est le fournisseur exclusif des établissements de santé publics aussi bien pour les médicaments importés que pour ceux produits localement. Elle est également chargée du suivi des stocks de sécurité des médicaments essentiels et vitaux (3 mois de consommation).
Walid KHEFIFI