L’addiction aux différentes drogues est devenue, aujourd’hui, un fléau très préoccupant. C’est un véritable « cancer ». Un cancer qui ronge le corps social. Ce cancer n’a ni cesse ni trêve, jusqu’à ce que ce corps, lui, sacrifie non seulement son être physique, mais aussi son âme, voire même sa vie. Le culte de ce cancer, c’est la souffrance et le couronnement de celui-ci. C’est une mort lente dans un sentiment mitigé de jouissance et de souffrance. Lors du 1er congrès international d’addictologie, tenu à Tunis les 14 et 15 décembre 2017, et auquel j’avais pris part, ont été présentés les résultats de l’enquête MED SPAD « Mediterraneen School Survey Project on Alcohol and Other Drugs » (Octobre 2017 ) ; une enquête réalisée sur un échantillon de presque 7500 élèves de 15 à 17 ans , répartis sur 327 classes et issues des 24 gouvernorats de Tunisie
Les résultats de cette 2ème enquête confirment la tendance évolutive de l’usage des drogues, ainsi que l’ampleur de la consommation d’autres substances psycho-actives chez des adolescents scolarisés, âgés entre 15 et 17 ans. Comparativement aux résultats obtenus en 2013, lors de la première enquête, la fréquence des consommations, durant la vie, ont considérablement augmenté, passant pour le cannabis de 1,4 à 3,8, pou les médicaments sans ordonnances de 2,1 à 3, pour la cocaïne de 0,5 à 0,4 et pour l’ecstasy de 0,20 à 1,4.
Les résultats de l’enquête de 2013, au moment où la Tunisie passait par une période extrêmement difficile, indiquent une évolution certaine du phénomène des « addictions aux drogues », face auquel quelques actions de préventions, sans plus, ont été menées par les autorités sanitaires, dans le cadre d’un partenariat méditerranéen, piloté et appuyé par le Groupe Pompidou – Conseil de l’Europe, visant la surveillance épidémiologique, l’évaluation et le partage des politiques de préventions dans la région méditerranéenne.
Malheureusement, pour des raisons propres aux autorités sanitaires dans le pays, tous ces efforts considérables, fournis pour la quête quantitative et qualitative des caractéristiques de ce phénomène, obtenues dans les deux enquêtes de 2013 et de 2017, sont restés relativement inexploités. A ma connaissance, de part quelques actions ponctuelles, aucune stratégie durable, aucun programme multidisciplinaire de préventions et de lutte n’a été mis en vigueur contre ce mal terrible, qui ronge notre jeunesse d’aujourd’hui, et qui détruit notre Tunisie de demain.
Bien au contraire, ce vide et ce désengagement, bien noté des autorités compétentes et de la Société civile, n’a pas été sans dégâts. Il a augmenté le malheur des uns et à l’opposé, il a construit le bonheur des autres.
Dans un contexte de rapport de force, un contexte dominé par le pouvoir financier des multinationales et leurs alliés locaux, ces « dealers internationaux et locaux à différentes échelles », visant essentiellement à préserver leurs acquis d’aujourd’hui et à développer ceux de demain, continuent à mettre le phénomène de l’addiction aux drogues sur une courbe croissante, au détriment d’une jeunesse de plus en plus effacée, et en faveur de dealers de dimensions variables, nationales et internationales.
La Société tunisienne d’addictologie « STADD », ouverte sur d’autres expériences en matière d’identification, de prévention et de lutte contre ce phénomène « les addictions aux drogues », ne cesse de développer des projets de partenariat national et international, au terme de « gagnant gagnant », qui forcent le respect et qui méritent toutes nos considérations. Dommage que ces mêmes projets, très laborieux, pour des raisons multiples, soient restés sur le goût d’inachevé, en l’absence de stratégie réelle de lutte contre ce fléau.
Médicalement, les addictions aux drogues sont, aujourd’hui, définies comme étant une dépendance neurobiologique aux différentes substances psychoactives et aux différentes drogues.
Sociologiquement, ce même phénomène « les addictions aux drogues » n’est pas si simple qu’on le pense ; il est très complexe. Ses connexions socio-économiques et politiques et ses ramifications multiples, si profondes, si inaccessibles et si incomprises, exigent une réflexion plus approfondie, et si nécessaire, un partenariat associatif, multidisciplinaire, plus étoffé et mieux garni.
Le premier congrès international, sous l’égide de la Société tunisienne d’addictologie et l’institut national de la santé, en collaboration avec le LR « Epidémiologie appliquée à la santé de la mère et de l’enfant », avec le soutien du Groupe Pompidou, si important et si instructif qu’il était, devrait aujourd’hui s’élever au niveau des mesures pragmatiques et de stratégies nationales de lutte organisée contre ce fléau. Sans cet engagement dans la voie de l’action et du militantisme médicosocial, ce phénomène, voire ce « cancer social » continuera à ronger, au fil des jours, notre corps social, en augmentant, ainsi, le malheur de nos jeunes et de moins jeunes, et en ouvrant la voie libre aux dealers nationaux et internationaux pour le développement de leurs marchés et de leurs business.
Le phénomène « des addictions aux drogues » est médicalement défini comme une dépendance neurobiologique. Pour les sociologues, il est considéré comme un « phénomène social total ». Sa compréhension et sa prise en charge puisent leur sens dans la nature de rapports de forces socioculturelles, politiques et économiques, et dans l’étendu des lois de marchés, souvent orchestrés par les détenteurs du pouvoir financier dans le monde, d’une part, et par les pouvoirs compradores des pays alliés de l’autre. Si aujourd’hui, les facteurs médico-scientifiques de ce phénomène sont relativement connus et identifiés, les acteurs sociopolitiques et économiques, si masqués soient-ils, sont au four et au moulin. Ils protègent les uns et punissent les autres ; ils construisent le bonheur des uns et augmentent le malheur des autres.
Tenu par l’honnêteté scientifique et par l’éthique professionnelle, l’homme de sciences médicales ou humaines, sensé connaître les facteurs endogènes et exogènes de ce phénomène, dans le domaine médical, socioéconomique et politique, continue son combat et son militantisme médicosocial à l’échelle planétaire, en dehors de toutes considérations identitaires et raciales, malgré les enjeux et les intérêts des pouvoirs financiers dans le monde.
Soyons tous prudents, et unissons-nous pour transformer les freins au développement en accélérateurs et la souffrance de nos jeunes en bonheur
Hédi Cherif
(Sociologue)