Par Mansour M’HENNI
La démission de Nadia Akacha de son poste de ministre-conseillère, directrice du cabinet du président de la République, est un vrai coup de bombarde dans le Palais de Carthage qui passait pour un édifice bien soudé et maîtrisé de main de maître. Elle est différemment commentée, par les politiques et les médias, chacun selon ses intérêts et ses penchants. Les citoyens, quant à eux, ne disposant pas d’informations suffisantes, ne font que s’interroger, et parfois spéculer sur les dessous d’une décision aussi tonnante.
Ce qu’il importerait de souligner à ce propos, c’est que la démission a été annoncée dans les règles de convenance, dans le respect du passé (« J’ai eu l’honneur d’œuvrer pour l’intérêt du pays aux côtés du président de la République »), et sans insulter l’avenir (« Aujourd’hui, en présence de divergences fondamentales de points de vue en lien avec l’intérêt supérieur du pays, je considère qu’il est de mon devoir de me retirer, souhaitant le succès à tous et priant Dieu de protéger ce pays de tout mal »). Cela ne l’a pas épargnée du dénigrement de certains, mais ne l’a pas trop diabolisée auprès d’adversaires du Président qui misent peut-être sur la possibilité de l’instrumentaliser ultérieurement, si l’occasion se présente et que le besoin se fasse sentir. Tel est le jeu pervers de la politique et quand on est sur son terrain, il faut savoir s’accommoder de ses avers et ses envers.
Pourtant, le lien avec le Président était inflexible
Pour le cas présent, la situation paraît problématique et suscite l’interrogation de tous côtés en raison du lien qui paraissait inflexible entre l’ancienne étudiante et son professeur, devenue son bras droit dans la présidence où il est roi à présent. Elle était la dame de l’ombre, discrète comme il se doit, mais elle était la dame forte et influente, peut-être même plus qu’on le voit. En tout cas, l’attaque orientée sur la supposée inébranlabilité de ce lien s’est renforcée à la mesure du renforcement du pouvoir entre les mains du président et elle venait autant du principal adversaire politique du jour, en l’occurrence Ennahdha et ses alliés de l’instant, que des amis ou alliés du président dont certains avaient déjà réclamé le renvoi et même la traduction en justice de Dame Nadia. Par moments des rumeurs faisaient d’elle une prochaine ambassadrice, alors que d’autres y voyaient la future Cheffe du gouvernement, ne voyant ainsi dans Nejla Bouden que la dame provisoire, le temps d’une transition. Du coup, la plupart des acteurs politiques nationaux, d’un côté comme de l’autre, cherchent à marquer des points à leur profit par la démission du lundi 24 janvier, chacun y mettant sa rhétorique et son génie politique.
N’empêche que perçue aussi objectivement que possible, en contexte de voilement semi transparent des raisons de la démission, on peut se poser les questions suivantes :
1 – La démission serait-elle dictée, comme une forme de séparation civilisée remplaçant l’éviction ? Cela supposerait une rupture de la confiance du président, mise dans la compétence et l’intelligence de sa principale collaboratrice, longtemps considérée comme la jument de proue de sa politique. Mais alors, qu’est-ce qui aurait altéré cette confiance ? Un abus de prérogatives imperceptibles de l’extérieur mais devenues suspectes ou gênantes de l’intérieur ? Un changement de repère présidentiel, lui faisant tourner la face vers un autre genre de conseil et décidant de ce divorce à l’amiable ?
2 – Dans le prolongement de ce raisonnement, certains observateurs ramènent le président à son équipe de départ, celle du slogan « Le Peuple veut… », qui a eu le temps de s’organiser politiquement en dehors même de la structuration partisane, sans doute pour mieux y entrer avec les garanties et les piliers de base déjà assurés, à l’ombre d’une tolérance et d’une complaisance dont des opposants ont responsabilisé le président et dont les médias ont fait de nouveaux plats copieux dans leurs menus. Dans la perspective de ce retour en force de l’équipe « fondatrice du projet présidentiel », on commence même à sortir des noms de la « famille » pour la succession de Nadia Akacha, et donc les prémices d’une oligarchie annoncée.
Fissures au sein du clan présidentiel ?
3 – N’empêche qu’il y a une autre hypothèse, celle à deux interprétations relatives à leurs auteurs de façon étroitement rattachée à leurs intérêts respectifs et à leurs objectifs latents. D’un côté, les opposants, qui tablent sur une chute imminente et imparable du Président et de son orientation politique, voient dans le départ de la Cheffe du Cabinet présidentiel la manifestation évidente de la grande fissure qui affecte le clan présidentiel et le signe assuré d’une inadéquation politique jugée anachronique, en considération des données civilisationnelles objectives de la Tunisie moderne et de la conscience qui y veille. De l’autre côté de la lecture, il y a la possibilité d’un choix délibéré et assumé de la jeune juriste, brillante et intelligente, vite propulsée au-devant de la scène politique. Se sentant plus à l’aise dans un autre profil politique qui pourrait ne pas tarder à s’exprimer, elle aurait décidé, après mûre réflexion et supposée juste évaluation de son parcours, de s’écarter de l’épicentre du conflit politique présent, jugé contraire à l’intérêt du pays, pour préserver son image des divers effets pervers de ce conflit et conserver ainsi sa réserve d’intelligence et de performances pour une autre façon de voir son rôle au service de cet intérêt national.
Ce qui est certain, c’est que la démission de Nadia Akacha, qu’elle soit un simple caprice frustré ou le signe d’une tempête, constituera une donnée nouvelle dans la distribution des rôles politiques pour les jours à venir et que, petit à petit, le secret qu’elle prétend couver dévoilera ses causes et initiera ses effets.