Le 6 février 2013, Chokri Belaïd, avocat et homme politique tombait sous les balles des islamistes. Un assassinat qui avec celui de Mohamed Brahmi, quelque mois plus tard, a provoqué les plus grands remous politiques et a mis en porte à faux, la transition politique qui avait débuté en 2011. Cette année a été marquée bien évidemment, par une dérive sécuritaire qui n’a fait qu’évoluer. L’année 2013 fut celle de la crise des institutions intérimaires, mises en place à l’époque par la Troïka, après l’élection de l’Assemblée nationale constituante (ANC). Rappelons que la Troïka est un gouvernement de coalition rassemblant à l’époque les trois politiques les plus réputés dont le parti Ennahdha.
Elle était dirigée, à l’époque de l’assassinat de Chokri Belaïd par le chef du gouvernement Hamadi Jebabli, leader au mouvement Ennahdha. Elle paraîssait étrangement passive face à la recrudescence de la violence, perpétrée par des organisations extrémistes dont la fameuse « Ligue de la protection de la révolution » qui n’avait de protecteur que le nom.
Organisations extrémistes et dérives sécuritaires
Quelques jours avant l’assassinat du martyr Chokri Belaid, Hamadi Jebali, alors chef du gouvernement provisoire et secrétaire général du parti Ennahdha, a essayé de secouer le chef du parti ainsi que le ministre de l’Intérieur, de leur torpeur, ou plutôt de leur indolence, pour les mettre en garde contre le danger imminent qui guette le pays et dont sont responsables les extrémistes, tels que les membres de ladite ligue. Cette organisation aux desseins obscurs, a été dissoute finalement en 2014, par la justice, après les multiples violences qu’elle a perpétrées. Ali Larayedh, comme sœur Anne n’a rien vu venir, car il s’attendait à une attaque par devant, « mais elle a eu lieu par derrière disait-il ». Rached Ghannouchi avait plutôt un préjugé favorable à l’égard de ces jeunes extrémistes, membres de la fameuse ligue. Bien plus, Moncef Marzouki, alors président de la République, les a même reçus au Palais de Carthage, en janvier 2013.
Une autre organisation qui a fait ses preuves dans l’exercice de la violence, dénommée « Ansar Achariâa, a voulu marcher sur Kairouan à l’instar de Moussa Ibn Noussair, mais pas dans le même contexte évidemment. Elle a été contenue par nos vaillants agents de l’ordre, qui se sont toujours comportés de manière spontanée et étaient toujours prêts à défendre la sécurité des citoyens, au prix de leur sang et de leur vie. Cette organisation n’a été dissoute qu’après tant de catastrophes, et il est certain que ses membres avaient le martyr Chokri Belaid dans le Collimateur.
Par ailleurs, certains n’hésitent pas à pointer du doigt concernant le meurtre dudit martyr, des membres du mouvement Ennahdha et pour cause : ceux qui ont perpétré la violence, dont notamment les extrémistes, qui appellent au jihad et à l’application de la Chariâa, ont été trop ménagés par ledit mouvement et son chef, Rached Ghannouchi. La passivité des gouvernements dirigés par des leaders du mouvement Ennahdha, a alimenté une tension politique et la société a été depuis scindée en sécularistes c’est-à-dire ceux qui sont pour la séparation entre le spirituel et le temporel d’une part et islamo-conservateurs d’autre part.
La mise en garde de Chokri Belaïd
Chokri Belaïd, a mis en garde contre la barbarie génétique des frères musulmans et alliés internationaux. Il n’ y est pas allé par quatre chemins, il a lancé des alertes à l’encontre des extrémistes religieux dont la mouvement Ennahdha, et il a été abattu peu de temps après.
Donc, il ne faut pas un être un génie pour faire le lien de cause à effet entre son assassinat et ceux qui l’ont commandité. Car ce qui importe de connaître ce n’est pas tant celui qui a tiré sur la gâchette et qui n’était qu’un exécutant, mais ceux qui en ont donné l’ordre car ceux-là sont encore prêts à commanditer d’autres crimes semblables à ceux perpétrés à l’encontre de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
Sur le plan juridique, l’enquête n’a fait que trébucher, sans parvenir à un résultat concret.
Ainsi, cela fait maintenant 9 ans que l’enquête a été ordonnée depuis l’assassinat de Chokri Belaïd un 6 février 2013, et qui a été suivie, à peine cinq mois plus tard de l’assassinat de Mohamed Brahmi. Bien qu’on ait soupçonné l’implication de certains membres du mouvement Ennahdha, dans ces assassinats, ces affaires sont toujours au même point. Les tiraillements politiques dans lesquels certains magistrats ont été impliqués y sont pour beaucoup dans le manque de diligence dans ces affaires qui revêtent un caractère très particulier. Basma Khalfaoui, avocate et veuve de Chokri Belaïd, a déclaré que depuis 2014, feu Béji Caïd Essebsi avait promis que la vérité sera, coûte que coûte, dévoilée. Hélas il n’en est rien » ! En effet, il y a plein d’obstacles à l’avancement de cette affaire, qui sont dus aux pratiques de manigances et d’occultation de la vérité par certaines parties, dont ceux qui ont voulu faire la pluie et le beau temps au sein du pouvoir, et qui en sont les principaux acteurs, selon la plupart des observateurs, dont notamment le collectif de défense des intérêts des martyrs.
Appareil secret et documents occultés
L’affaire est actuellement reportée au 25 février 2022, au motif que plusieurs accusés ont refusé de comparaître à la barre, au cours de la dernière audience. Le collectif de défense des intérêts des martyrs a affirmé détenir des documents et des informations se rapportant aux commanditaires. Par ailleurs il a confirmé l’implication du mouvement Ennadha avec le fameux appareil secret, en présentant des documents de nature à le prouver selon ce qu’ils affirment.
En 2019 le pôle judiciaire s’est dessaisi de l’affaire au profit du juge d’instruction du bureau 32 près le Tribunal de première instance de Tunis. Mais on apprendra plus tard que ce juge qui est Béchir Akrémi, ancien procureur également, est accusé selon le collectif de défense des intérêts des martyrs, d’avoir occulté des documents utiles pour la connaissance de la vérité et qui sont susceptibles d’impliquer le mouvement Ennahdha.
Il est démis de ses fonctions et passera bientôt devant la justice. Seulement les magistrats, que ce soit au syndicat des magistrats tunisiens (AMT) ou à travers l’association des magistrats tunisiens (AMT) cherchent en premier lieu à préserver leur indépendance et leur intégrité. L’énigme autour des affaires des assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ne les occupe pas outre mesure. Aucune allusion n’a été faite par eux aux obstacles que trouve la justice dans la connaissance de la vérité dans des affaires similaires à celle relative à l’assassinat de Chokri Belaïd.
Le rapport de l’inspection générale du ministère de la justice, fait état de plus de 6000 dossiers liés à des affaires terroristes qui n’ont pas été traités, selon le collectif de défense des intérêts des martyrs.
Etat d’exception et malaise de la justice
Actuellement et depuis l’Etat d’exception, le malaise de la justice est encore plus grand. Kais Saied qui parle souvent par insinuations et métaphores a rarement évoqué l’affaire de l’assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi. Il évoque souvent cependant dans ses discours, le malaise qui existe au sein du corps judiciaire, reprochant une certaine tendance à une hégémonie des magistrats alors qu’ils ne sont que des fonctionnaires, dit-il, qui travaillent au sein de l’Etat. Mais qu’est-ce que cela peut changer pour parvenir à la connaissance de la vérité ?
En fait dans tout crime politique, la vérité ne pourra jamais être révélée car des zones d’ombres persisteront toujours, et c’est ce qui contribue à graver les noms de Chokri Belaid, Mohamed Brahmi et de tous ceux qui se sont sacrifiés pour la bonne cause, avec des lettres d’or.
Ahmed NEMLAGHI