Les travaux du 25ème congrès de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ont démarré, hier, à Sfax sous le signe de la division. Une seule liste se présente aux suffrages des congressistes, « l’opposition syndicale » ayant choisi la politique de la chaise vide.
Présentée depuis la révolution comme un rempart contre les tentations hégémoniques du pouvoir et un porte-flambeau des valeurs démocratiques, la puissante centrale syndicale est désormais déchirée par les luttes intestines. Ironie de l’histoire : la principale ligne de fracture est le respect des valeurs de l’alternance. L’amendement de l’article 20 des statuts de l’organisation, adopté lors d’un congrès extraordinaire non électif tenu les 8 et 9 juillet 2021 à Sousse, a en effet verrouillé le jeu électoral au profit de la direction sortante.
Cet amendement a supprimé la limitation de l’exercice de la responsabilité au Bureau exécutif national à deux mandats. Ainsi, neuf membres du Bureau exécutif sortant qui ont déjà accompli deux mandats ont pu briguer un troisième mandat : Noureddine Taboubi (l’actuel secrétaire général), Slaheddine Selmi, Naïma Hammami, Monêm Amira, Sami Tahri, Hfaïedh Hfaïedh, Anouer Ben Gaddour, Kamel Saâd et Samir Cheffi. Au final, deux de ces membres, Naïma Hammami et Kamel Sâad, ont renoncé à la participer à la course électorale in extremis, ce qui en dit long sur le malaise interne qui secoue l’organisation ouvrière.
Sauf surprise, les sept autres membres du bureau exécutif sortant qui se sont représentés devraient être reconduits. La liste du secrétaire général sortant suscite toutes les convoitises du reste des candidats. Tous souhaitent en faire partie pour maximiser leurs chances d’accéder au Bureau exécutif.
Les principales figures de l’opposition syndicale qui refuse l’amendement de l’article 20 et s’attache au respect des principes démocratiques et de l’alternance au niveau des hautes instances dirigeantes de l’organisation, à l’instar de Mohamed Ali Boughdiri (membre du Bureau exécutif sortant) et Lassâd Yaâcoubi (secrétaire général de la fédération de l’enseignement secondaire) et Kacem Afia, ancien membre du Bureau exécutif, n’ont pas présenté leur candidatures pour ne pas cautionner les résultats du 25ème congrès.
Protestations
L’opposition syndicale a cependant donné de la voix mardi à Sfax, en organisant un rassemblement devant l’espace qui abrite les travaux du congrès. Ces protestataires qui ont scandé des slogans dénonçant un putsch conduit par le secrétaire générale sortant, Noureddine Taboubi, et ses compagnons de route ont été pris à partie. «Des milices ont agressé les manifestants opposés à la reconduction de l’équipe sortante, ce qui confirme les pratiques antidémocratiques au sein de l’organisation », a assuré Mohamed Ali Boughdiri, secrétaire général adjoint sortant chargé du secteur privé. Et d’ajouter : « le mouvement syndical tunisien connaît aujourd’hui l’une des pires périodes de son histoire. Il paiera très cher l’attachement de certains membres du Bureau exécutif sortant à leurs douillets fauteuils ».
« Les divergences des points de vue constitue l’un des caractéristiques de la centrale syndicale et permet une pratique effective des valeurs de la démocratie, a dit Tabboubi.
« Il n’y a pas de division au sein de l’organisation. Ce ne sont pas quarante personnes et quelques procès qui déstabiliseront l’UGTT » a martelé le secrétaire général adjoint et porte-parole de l’organisation, Sami Tahri, tout en laissant entendre que « des forces occultes et des ennemis de l’action syndicale se cachent derrière les protestataires ».
Introduit dans les statuts de la centrale syndicale lors d’un congrès extraordinaire tenu à Djerba en 2002 sous la pression d’une aile radicale alors opposée à l’inféodation de l’organisation au régime de Ben Ali, l’article 20 visait à garantir l’alternance à la tête de la centrale syndicale après de longues années de de « verrouillage » de l’organisation par l’ancien secrétaire général Ismaïl Sahbani.
L’ancienne direction de l’UGTT élue au congrès de Djerba (2002) a tenté sans succès d’amender cet article limitant les mandats des membres de Bureau exécutif lors du congrès de Monastir tenu en décembre 2006. L’amendement de cet article très a été également rejeté lors du 23è congrès de l’organisation tenu à Tabarka en janvier 2017.
Les travaux du 25ème congrès de l’UGTT se poursuivront aujourd’hui. Et même si les structures dirigeantes ne devraient pas être bouleversées, un congrès de la centrale syndicale n’est jamais anodin. D’autant plus que l’organisation, qui revendique 750 000 membres, est omnipotent sur la scène sociale et doté d’une influence politique incontournable.
Walid KHEFIFI