Artiste éclectique et particulièrement prolifique, l’un des plus grands virtuoses du violoncelle dans le monde, Yo-Yo Ma se produit en concert ce samedi 26 mars à la Cité de la culture de Tunis, dans le cadre du festival Jazz à Carthage (« extended session »). Un événement musical, décidément important, pour le plus grand bonheur des mélomanes tunisiens, et qui a été permis notamment grâce au soutien de l’Ambassade US en Tunisie. Nous avons rencontré, à l’occasion, l’attaché culturel de l’ambassade, Dmitri Tarakhovsky, lui-même musicien, et qui s’est livré à nous, sans fard, au cours d’un entretien, aussi spontané que consistant.

Entretien conduit par Slim BEN YOUSSEF

 

 

 

 

 

Le Temps News – Yo-Yo Ma en Tunisie, un concert événement.

Dmitri Tarakhovsky – Yo-Yo Ma est un musicien très important, un artiste légendaire. Il s’agit d’un événement très important pour l’Ambassade des Etats-Unis et pour la Tunisie. Il faut dire, aussi, que Yo Yo Ma n’est pas seulement impliqué dans la musique, il est engagé dans différentes formes d’expressions artistiques et dans diverses causes culturelles et humanistes. Il est là aussi pour soutenir les artistes locaux, ainsi que les jeunes musiciens.

Yo-Yo Ma a lancé l’initiative « Days of action », qui consiste à visiter 36 pays dans 6 continents différents pour jouer sa musique dans des scènes panoramiques ou dans des lieux mythiques. Il a choisi la Tunisie en tant que première destination, le premier arrêt dans cette grande tournée internationale.

Quel est le programme de son « escale » en Tunisie ?

L’événement principal aura lieu ce samedi le 26 mars à la Cité de la culture. Mais durant sa visite en Tunisie, il n’y aura pas que ce concert. Deux autres événements non moins importants auront lieu sous forme de rencontres et de master class. Il s’agit d’une occasion plus « confortable » pour échanger dans un cadre « privé », sans présence médiatique et loin de tout protocole. Un cadre dans lequel Yo-Yo Ma pourra interagir directement et librement avec les artistes, notamment les jeunes musiciens tunisiens.

Maître du violoncelle, Yo-Yo Ma jouera du Bach ce samedi. Un vrai régal…

Yo-Yo Ma va jouer 6 suites en solo, composées par le grand compositeur allemand Jean-Sébastien Bach. Pour moi, il y a quelque chose de vraiment fascinant ! De la musique composée il y a plus de 3 siècles. Jouer cette musique aujourd’hui est un facteur qui aide à unifier l’humanité, extrêmement divisée de nos jours…

J’ai fait entendre à ma fille quelques morceaux de ces suites-là. Je lui ai demandé si elle a bien aimé. « C’est tellement sublime, m’a-t-elle répondu, « qu’est-ce que je vais faire si je dois éternuer pendant le concert ? ». (Rires).

Ce concert est organisé en « extended session » dans le cadre du festival Jazz à Carthage.

Nous sommes très heureux et fiers de soutenir la vie culturelle en Tunisie et Jazz à Carthage, en particulier, qui est l’un des événements culturels majeurs du pays. Nous soutenons Jazz à Carthage depuis 2015. C’est une tradition. Outre Yo-Yo Ma, qui est une célébrité, nous avons invité également Lucy Woodward, chanteuse américaine qui a présenté un concert avec la Tunisienne Alia Sallemi le 5 mars courant.

Vous soutenez Jazz à Carthage. Quel est le montant de votre subvention ?

On a pu soutenir le Jazz à Carthage, depuis 2015, avec une moyenne de 60 mille dollars chaque année. Notre subvention la plus importante, jusque-là, est de 46 mille dollars pour pouvoir accueillir, justement, Yo-Yo Ma ainsi que Lucy Woodward.

Jazz à Carthage est, certainement, un festival important. Mais vous avez évoqué tout à l’heure « les scènes mythiques » dans le monde. Créé dans les années 70, le Festival de Jazz de Tabarka, aujourd’hui disparu, en faisait justement partie. Ma question est : L’Ambassade US serait-elle disposée, si l’occasion s’y prête, à soutenir un éventuel « come-back » de ce festival aussi prestigieux que mythique ?

Ecoutez, je suis moi-même un ancien musicien. Je suis très passionné par la musique. Il faut souligner, tout de même, qu’on ne peut pas se concentrer seulement sur la musique. Il faut aussi explorer d’autres activités.

Nous soutenons, par exemple, l’industrie du cinéma. Nous allons accueillir, en avril, des spécialistes du programme Fullbright qui viendront en Tunisie pour fournir des formations en termes de production de films. Je vous donne un scoop : on prévoit d’organiser prochainement l’American film festival (festival du film américain), en Tunisie. Ce sera en partenariat avec l’ESAC. On a prévu de travailler aussi avec des universités pour produire des spectacles à la Broadway.

Tout cela pour dire que nous voulons soutenir différentes disciplines artistiques. On soutient la vie culturelle, de manière globale.

Parlez-nous davantage de l’action culturelle de l’Ambassade US en Tunisie.

L’Ambassade a plusieurs programmes pour soutenir la vie culturelle en Tunisie. Par exemple, il y a le projet « Tunisia 88 » qui est l’initiative d’un artiste américain ayant lancé « International 88 », dont l’objectif est d’assurer l’inclusion des élèves à travers le monde dans la vie culturelle. L’idée est simple : Tunisia 88 est un projet qui ambitionne de créer un club de musique dans plus de 500 lycées à travers la Tunisie.

Un autre point important : nous soutenons des projets de préservation et de restauration du patrimoine archéologique tunisien. Nous avons alloué un fonds de restauration pour le site Oudhna en 2018, ainsi que près de 420 mille dollars pour la restauration du Colysée d’El Jem en 2019.

Nous voulons investir, également, dans des zones qui nous intéressent en commun : par exemple à Matmata ou à Tozeur où s’est déroulé le tournage du film culte Star Wars.

Les jeunes artistes tunisiens sont confrontés à un manque flagrant de financement, notamment de la part du ministère tunisien des Affaires culturelles, dont le budget est pour le moins dérisoire. L’Ambassade US serait-elle disposée, dans ce sens, à financer, non pas l’Etat, mais directement les jeunes créateurs, à travers la création de subventions et de fonds de soutien ?

Nous avons la volonté de soutenir les jeunes artistes et les talents émergents en Tunisie. Nous finançons, par exemple, des voyages aux Etats-Unis. Le dernier en date est celui de Kaouther Ben Hania, dont le film « L’Homme qui a vendu sa peau » a été sélectionné aux Oscars.

Mais le plus important, c’est que nous essayons de soutenir les jeunes artistes en termes de management, à travers des workshops assurés par des artistes et des professionnels américains. Autrement dit, comment instaurer un business plan, un modèle économique pour qu’ils puissent générer des revenus de leur art.

Le côté « business » de la musique, c’est quelque chose qui manque à la l’industrie de l’art en Tunisie. Nous ne pourrons pas apporter un soutien financier à tous les artistes, c’est évident, mais l’objectif est de s’assurer que les artistes en herbe puissent voler de leurs propres ailes.

Les Tunisiens sont de plus en plus imprégnés par la culture américaine. Pourtant la coopération culturelle de l’Ambassade US reste pour le moins insuffisante sur le terrain, notamment par rapport à celle sécuritaire. Pouvez-vous, dans ce sens, nous révéler le montant du budget alloué à la coopération culturelle pour cette année ? Y aurait-il, par ailleurs, une volonté de développer ce budget dans les années à venir ?

Bien sûr, la coopération sécuritaire entre la Tunisie et les Etats-Unis est une coopération très importante et très significative pour la Tunisie ainsi que pour les Etats-Unis. Cela dit, si je vous donne un chiffre exact en 2022, est-ce que cela va être vraiment indicatif du volume de la coopération réelle sur le terrain ? Parce que, en réalité, il y a des formes de coopération directe, mais il y a parfois des formes indirectes.

Par exemple, l’agence américaine pour le développement international, l’USAID, vient d’investir 50 millions de dollars dans le programme « Visit Tunisia ». Ce projet, de très grande envergure, a pour objectif de promouvoir le tourisme intérieur, notamment les sites touristiques alternatifs dans les régions éloignées. Il sera l’un des moteurs économiques des régions intérieures et présentera beaucoup plus d’opportunités aux artistes, artisans et acteurs touristiques.

Par ailleurs, on envoie chaque année un nombre important d’étudiants aux Etats-Unis, soit pour des formations, soit pour continuer leurs études. On fait aussi des programmes d’échanges. Donc concrètement, on ne peut pas calculer le volume exact de la coopération culturelle. Pour nous, l’objectif principale, c’est de soutenir, présenter des opportunités économiques à tout le monde et ça inclut aussi les artistes.