par Badreddine BEN HENDA
En passant hier (25 mars 2022) devant les montagnes de détritus entassés aux quatre coins de la capitale, je me suis demandé pourquoi de tels spectacles désolants ne dérangent pas outre mesure la population. C’est que la plupart des Tunisiens pensent et sont même intimement convaincus que la propreté des villes n’est pas leur affaire, mais celles des municipalités et de leurs employés. Ces derniers en grève de trois jours, on laisse passer les trois jours sans réagir, et l’on subit la loi des syndicats et les caprices de militants gâteux de plus en plus nombreux.
Nous n’avons jamais appris à prendre en mains notre propre sort. Nous comptons toujours sur le bon vouloir de quelque responsable omnipotent pour intervenir à notre place. Un Président de la République, un Maire, un « leader », tous calculateurs et opportunistes, des sortes de Sauveurs envoyés par je ne sas qui pour nous tirer d’affaire. Aujourd’hui, ce sont les éboueurs, les postiers, les agents de la STEG qui nous tiennent par la gorge. Demain, ce sera le tour de qui, parmi les travailleurs (paresseux) qui se sentent indispensables et irremplaçables ?
Apprenons aux petits comme aux grands que la gestion du pays ne tient ni à un individu, ni à un parti, ni à une corporation ! Apprenons dès l’école, dès la crèche (pourquoi pas) à remplacer les prétendus irremplaçables ! Dans les établissements scolaires et universitaires, des centaines de milliers d’enfants et d’adolescents ignorent de fait leur responsabilité en matière civique. Au primaire et au secondaire, les cours censés la leur faire éprouver et assumer sont caricaturaux, parce que très « secondaires » par rapport aux autres programmes. Les professeurs d’éducation civique ne font pas, ne font jamais, le poids devant leurs collègues des Maths, des Sciences et des Langues.
Lorsque les éboueurs débrayent et que toutes les artères de la ville sont jonchées d’ordures, les Maths, les Sciences et les Langues ne sont d’aucun secours auprès des élèves et des étudiants. En revanche, s’ils avaient bien appris à vivre et à se comporter en citoyens responsables, ils se seraient mobilisés tout seuls ou dans le cadre d’associations pour préserver la propreté, la beauté et l’hygiène citadines. Ce n’est malheureusement pas le cas, jusqu’à ce jour. Les jeunes générations se soumettent elles aussi au diktat des grévistes permanents, à la dictature de ces adultes pour qui l’environnement ne signifie rien dès qu’il s’agit de revendiquer de nouveaux droits et de nouvelles augmentations salariales.
Le scoutisme tunisien s’occupe d’autre chose désormais, de politique partisane surtout; les organisations de la jeunesse n’organisent rien d’autre que des excursions dominicales ou estivales. Les syndicats des étudiants, eux, se sont familiarisés depuis longtemps avec l’incurie et la pollution qui règnent dans leurs rangs et dans leurs facultés et instituts supérieurs. Au sommet de leurs « bureaux fédéraux », on défend les idéologies, les intérêts et les positions de telle ou telle mouvance politique. Pas un seul mouvement estudiantin tunisien ne parle d’écologie ni d’environnement dans ses A.G. ou dans ses motions. L’écologisme fait rire à l’Université de chez nous.
Pas étonnant dès lors que, dans les conseils scientifiques, les représentants des étudiants n’exigent pas de budget spécial au profit des activités écologiques : pas même pour repeindre les façades ou arroser les plantes des rares cours et jardinets. Les étudiants eux-mêmes vandalisent tout, salissent tout, dans l’établissement, quand ils se mettent en colère pour une raison ou pour une autre (ou même sans raison) ! Leurs professeurs, non plus, ne donnent pas vraiment l’exemple dans ce domaine. Ainsi donc, il devient utopique d’attendre que les jeunes et les moins jeunes de notre beau pays se révoltent un jour, manifestent, organisent des sit-in, des grèves, des barrages sur les routes pour des causes citoyennes comme la propreté, l’hygiène et la beauté des villes ! Triste bilan, et peu d’espoir, hélas, que ça change pour le mieux !